Championnats d’Europe : un bilan français excellent mais perfectible sur le chemin des JO de Rio
Fort de 23 médailles (dont 9 en or), le bilan bleu à Zurich est remarquable. Le record de Barcelone est effacé. Le chemin est tracé vers les Mondiaux de Pékin (2015) dernière répétition avant le « graal » comme le dit Ghani Yalouz, les JO de Rio en 2016. Quelques balises mal placées pourraient toutefois engager les Bleus sur la mauvaise piste. Bilan et analyse.
On était parti pour réaliser un top 10 subjectif de ces championnats d’Europe. Mais pourquoi mettre davantage en exergue la performance de Christelle Daunay, victorieuse sur le marathon que celles de Yohann Diniz, auteur d’un authentique exploit sur le 50 km marche, de Benjamin Compaoré, freiné par de multiples (gros) pépins physiques, et sur le toit continental après avoir assommé le concours du triple saut au premier essai, de Floria Guei, qui réalisa un dernier relais de folie sur le 4×400 (chronométrée en 49’’71 !!), du 800 mètres plein de maîtrise d’Antoinette Nana Djimou pour conquérir son deuxième titre à l’heptathlon, sans oublier l’écaltante réponse Mahiedine Mekhissi ? Ça n’avait pas de sens. « On va essayer d’oublier Barcelone, c’est une autre aventure », indiquait le DTN Ghani Yalouz lors du point presse lundi 11 août, avant l’ouverture de ces 22e championnats. Le rendez-vous helvète a pourtant bien été observé à l’aune du record établit sur la colline de Montjuic. On prédisait en amont que Zurich sera le point d’ancrage d’une nouvelle génération, née en 1990 – 92, pas présente à Barcelone et symbolisée par les recordmen de France Pascal Martinot-Lagarde (110 m haies), Pierre-Ambroise Bosse (800 m), le leader européen Jimmy Vicaut (il n’avait participé qu’au relais en 2010), le décathlonien Kévin Mayer ou encore Clémence Calvin, qui s’était distinguée en remportant la coupe d’Europe du 10 000 m début juin. Mais c’est plus compliqué que cela.
Un collectif hétérogène
L’équipe de France génération Zurich opère un savant mélange entre jeunes, tauliers (présent lors de « l’aventure » de Barcelone) et très expérimentés, que l’on pourrait qualifiés de vétérans –sans que le qualificatif sonne comme péjoratif. On pense à Christelle Daunay, Yohann Diniz, Mélina Robert-Michon (qui a porté le maillot bleu à 43 reprises, record de sélection). Ils ont tout connu : les doutes, les blessures, les échecs. Et ces trois là ont su rebondir, avec maestria. Leur expérience est précieuse. Elle doit servir.A quoi attribuer la folle réussite des ces Bleus ? A une génération très talentueuse. A des coaches, la plupart dans l’ombre, compétents. A des athlètes hyper professionnels qui mettent toutes les chances de leur côté, tels que Yohann Diniz et Christelle Daunay. « Je tiens à saluer son titre, car c’est un investissement de longue haleine. C’est une fille qui est hyper professionnelle, et pour moi il y en a très peu. Christelle me tire aussi vers le haut et cela créé une émulation » souligne d’ailleurs Sophie Duarte, championne d’Europe de cross et qui a abandonné sur le 10 000 m.
Ce succès fleuve trouve aussi sa source dans le sillage de la méthode Yalouz, le DTN arrivé en 2009 après les JO de Pékin. Méthode fondée « sur le collectif, le bien vivre ensemble, le plaisir et principalement l’humain ». Cela fonctionne. La preuve, les athlètes, tous horizons différents, louent la remarquable ambiance qui règne au sein de cette « famille ». De la marathonienne Corinne Herbreteau-Cante, pour son premier grand championnat (sélectionnée dans le cadre de la coupe d’Europe) à la spécialiste de la longueur Eloyse Lesueur, championne du Monde indoor et désormais double championne d’Europe. « Merciii Ghani » clamait t-elle à l’intention du DTN dimanche en haut des tribunes, alors que ce dernier cause bilan avec les journalistes, en contrebas sur la terrasse du centre des médias.
Un état d’esprit
Rassembler, créer un état d’esprit avec un ensemble hétéroclite d’ego parfois considérables, de personnalités, de parcours singuliers, relève bien de la gageure dans un sport où l’on sait que les clans entre disciplines ont souvent pourri l’ambiance. Le défi est réussi. Une famille, oui. Mais qui dit famille dit parfois inimitiés, soubresauts, agitations. « Tous les athlètes ont donné une excellente image dans leur interviews, dans leur comportement sur le terrain et en dehors du terrain, y compris Mahiedine Mekhissi » relève le président de la FFA Bernard Amsalem. Euh, pas pour tout le monde. Pour Mekhissi, on pose les termes du débat : deux écoles s’affrontent, les partisans du respect intégral du règlement, et ceux qui mettent en exergue la spontanéité que doit garder l’athlé –regardez Bolt ou les sprinteurs montrant leur muscles, pourquoi pas les demi-fondeurs ?. Au passage, les contempteurs du Rémois sont souvent les mêmes qui jugent que les personnalités des champions sont aseptisées…Ce n’est pas tant Mahiedine Mekhissi, dont le comportement (on parle de Zurich) fait tiquer.
Petit flash back. Mais où était Pascal Martinot-Lagarde, jeudi soir ? Il semblait dans une autre planète. Ah oui, sûrement dans le club des « sub-13 » (moins de 13’’ sur 110 m haies) comme il le soulignait au point presse lundi 11. Il était sûr de son fait. Trop. En zone mixte, après sa 4e place transformée en médaille de bronze suite à la disqualification de son coéquipier d’entraînement Dimitri Bascou, le champion du Monde junior 2010 a tenu des propos surréalistes. « J’ai fait une saison magnifique. J’étais armé pour ces championnats d’Europe, il ne pouvait rien m’arriver à part des accidents. Je n’ai aucun regret dans la façon que j’ai abordé ces championnats. Je fais une très belle série, une très belle demi-finale. Mon temps des demies donne d’ailleurs la médaille d’or. C’est vraiment le genre de course que tu perds mais où tu ressors la tête haute car tu sais que tu devais gagner. Je n’aurais jamais la médaille autour du cou : on ne recourt pas une course. Mais moralement, je suis champion d’Europe ».
La frontière entre l’assurance et l’excès de confiance est ténue
Dans ce contexte, pourquoi ne pas calmer certaines ardeurs en amont ? « C’est le rôle de l’entraîneur. Je ne suis pas entraîneur. Mon rôle, c’est de rassembler, manager et mettre une dynamique d’équipe. Et de mettre des athlètes dans les meilleures conditions possibles » se défend Ghani Yalouz, samedi près de la zone mixte à l’arrivée du marathon féminin.Autre exemple, pourquoi le champion du Monde Teddy Tamgho est présent sur tous les championnats alors qu’il est suspendu un an, à la suite de trois no-shows (subis alors qu’il était en période de convalescence après sa fracture du tibia) ? Sans parler de le mettre au ban de l’athlé français, n’est-ce pas banaliser son erreur ? « Il a été à Eugene (Mondiaux juniors) pour faire passer le message sur les no-shows, et cela a été particulièrement apprécié » argumentait dimanche 10 août le DTN.Cette politique de management est parfois assimilé à du « cocooning », avec des athlètes déresponsabilisés : à force d’utiliser le terme « gamin » pour parler d’athlètes adultes de 20-22 ans, ne finissent-ils pas par le croire ? « Non, ce sont des espoirs. Quand je dis des gamins, c’est affectif. Si tu cherches la petite bête…Ce sont mes gamins et j’insiste là-dessus » sourit l’ex lutteur, vice-champion olympique en 1996, après avoir félicité Christelle Daunay.
« Je ne suis pas un bisounours »
Entre l’assurance de l’athlète et l’excès de confiance, la frontière est particulièrement ténue. « Complètement » abonde t-il. « Ça s’appelle la fougue de la jeunesse. Pascal aurait fait comme en série, il était champion d’Europe. Il emmagasine, il sait que rien n’est acquis. Il va appendre ». Mais les choses seront bien explicitées, en petit comité. « Ça sera fait après ces championnats d’Europe, avec mes collègues pour voir ce qui est bien, moins bien et justement rectifier tout ça ». Dimanche 18, lors du point presse clôturant la compétition, il précise : « Je ne suis pas un bisounours. Si j’ai des choses à dire, je les dirai ».
Car on insiste, l’excès de confiance peut-être le corollaire à ce genre de razzia. Et ça serait bête de gâcher le potentiel de la plus forte équipe de France de l’histoire en ne concrétisant pas à Pékin l’an prochain et aux JO dans deux ans. Car les Bleus ont récolté 23 médailles, alors que Teddy Tamgho est blessé, tout comme Jimmy Vicaut et que Pierre-Ambroise Bosse a terminé dernier de la finale 8…Justement, d’aucuns ont dressé le parallèle entre Bosse et Martinot-Lagarde, y décelant une forme d’arrogance dans sa course. Ce n’est pas comparable : l’athlète coaché par Bruno Gajer a livré une analyse crue et lucide sur sa finale : « Je me suis pisser dessus ». Sa tactique de course était présomptueuse ? C’est ce qu’il a fait à Tallinn en 2011 (Europe juniors) et à Tampere 2013 (Europe espoirs). Et il avait gagné. Sans sourciller, car être devant lui octroie le confort de déployer sa foulée, sans être gêné par les bousculades d’une course tactique. Les échecs servent toujours à avancer, si l’on sait s’en servir. « Un mal pour un bien pour Rio ? Bien sûr. Je vais travailler sur ça et je reviendrai plus fort. Mais aujourd’hui, c’est inquiétant » glissait-il à l’issue de la course.
Garder la tête froide quand tout le monde vous dit que vous êtes beau, fort, et que vous allez gagner, n’est pas forcément chose aisée
Simplement, comme il l’a reconnu, l’attente et la pression de ce principal rendez-vous de la saison étaient tout autre. « Entre un JO où tu arrives 30e au bilan, et un championnat d’Europe où tu arrives avec deux secondes d’avance, ce sont des circonstances différentes. J’étais attendu médiatiquement, j’étais attendu par de nombreuses personnes, que ce soient dans mon entourage ou pas. On tient ou on ne tient pas la pression. Là, j’en étais loin ». Là où Pierre-Ambroise Bosse a pu faire paraître une pointe d’arrogance, c’est en enfilant le maillot de l’équipe de France de foot à Areva, ou en distribuant –il est vrai un peu trop- les boutades en zone mixte à Reims.Il convient de préciser que garder les épaules solidement ancrées au sol face au tumulte médiatique, quand tout le monde vous dit que vous êtes beau, fort, et que vous allez gagner, n’est pas forcément chose aisée. « L’athlétisme, c’est neuf sports, neuf singularités différentes. Il y a des jeunes qui ont appris des choses, ils vont en tirer des enseignements. C’est très important. C’est bien de prendre des gifles. Car tu te dis que rien n’est gagné d’avance. La réalité du terrain, c’est le jour J » explique Ghani Yalouz, qui a eu le mérite de rendre la participation aux championnats de France obligatoire (pas d’exception), créant ainsi une dynamique et une répétition générale avant les grands championnats (séries, finales etc…)
D’autres n’auront pas besoin de « recadrage ». Christophe Lemaitre, qui a aligné huit courses en six jours, a fait montre d’un froid pragmatisme dans la foulée de ses deux médailles d’argent individuelles (100 et 200 m), et bronze au relais. Et le fait qu’il soit devenu l’athlète le plus médaillé des Europe (8) n’y changea rien. « J’étais venu pour l’or et rien d’autre. C’est une déception, il faut dire ce qui est » soulignait l’Aixois après le 100 m. Les Eloyse Lesueur, championne du Monde indoor, Benjamin Compaoré, Kafétien Gomis et tant d’autres sont passés par des étapes compliquées. Leur joie était communicative. Ils savent d’où ils reviennent et comptent bien imposer leur patte au niveau supérieur. Tout comme ceux qui n’ont pas eu leur part du gâteau. Antonin Boyez, pour ne citer que lui, a ainsi exprimé à l’issue de son 20 km marche le fort sentiment de ne pas se sentir digne du maillot de l’équipe de France, au sein d’un collectif où l’émulation est perceptible, et où, chose, paradoxale, les médailles se sont diluées les unes dans les autres. On se souvient ainsi à peine du doublé Clémence Calvin Laila Traby sur le 10 000 m (2e et 3e)…Mais ceux qui ont figuré en retrait ont les crocs, comme l’ensemble des Bleus. Leur proie : Mondiaux 2015 à Pékin pour faire mieux que Paris 2003 (8 médailles). Et surtout Rio, dans deux ans déjà.