Trouver la bonne allure sur marathon
De belles performances sur marathon requièrent une préparation adéquate et une stratégie de course au point et adaptable aux conditions du jour J. La régularité de la vitesse de progression est un élément clé de la stratégie menant à la performance. Pascal Balducci nous livre ses conseils.
Ils sont bien repérables sur le marathon de Paris et d’autres grands marathons français, avec un fanion haut-porté annonçant la référence chronométrique : 2h30, 3h15, 4h00 …. Ce sont les meneurs d’allures ou pacers. C’est dire si le tempo revêt toute son importance dans cette discipline. L’enjeu de la course de marathon est de découper son chrono objectif en 42 portions (et 195m pour les puristes) et de déterminer son temps au kilomètre, puis de s’y tenir. Mais la détérioration de la capacité de performance au fil des kilomètres va rendre la tâche de plus en plus rude, et aux qualités physiques vont s’ajouter des qualités mentales qui permettront à chacun d’atteindre ou non son objectif.
L’intérêt de travailler à vitesse régulière est double : favorisation de la dégradation des lipides et épargne conséquente des stocks de glycogène hépatique et musculaire, et progression jusqu’aux 2/3 de la course assez aisée puisque l’intensité de course est bien moins élevée que sur un semi-marathon et à fortiori un 10 km. Un départ trop rapide est très risqué car la fatigue d’un point de vue énergétique et musculaire sera prématurée et rendra la dernière partie de course terrible, contraignant parfois à l’abandon et toujours à la contre-performance.
Un départ trop lent, par rapport au chrono objectif, aura pour conséquence une perte de temps qui sera difficile à combler. Comprenons bien qu’à vitesse régulière, la deuxième partie de course est courue à une intensité d’effort plus élevée, la consommation d’oxygène (et donc le coût énergétique) et les fréquences cardiaques dérivant vers le haut pour contrecarrer les effets de la fatigue. En marathon, le negative-split qui consiste à courir la deuxième partie de course plus rapidement que la première, n’est pas conseillé. On peut étrangement faire le parallèle avec la course de 800m dont le deuxième tour se résume à une lutte contre la déperdition de vitesse.
Trouver son tempo
Les généralités étant posées, répétons que le marathon reste une affaire individuelle. Comme nous l’avions écrit dans VO2Run #239, si la distance est fixe pour chacun, le temps de course ne l’est pas. Or, le mode de production d’énergie par notre organisme est dépendant de la durée et de l’intensité de l’effort. Du tout glucides pour les champions approchant les 2h à un mélange glucides-lipides dont la part de lipides augmente avec la durée et de manière inversement proportionnelle à l’intensité de l’effort, les coureurs ne sont pas égaux devant une même course ; un peu comme si les premiers carburaient au kérosène et les autres au diésel. Quant au fameux mur, il est dû conjointement à l’épuisement des réserves de glycogène (le kérosène) et à la casse musculaire qui imposent doublement le passage en mode robot. Paradoxalement, on continue à avancer mais la ligne d’arrivée semble s’éloigner, tel Zénon d’Elée à la poursuite de la tortue.
Autres inconvénients à courir plus longtemps, la production de chaleur par l’organisme (thermogénèse) et la dégradation des lipides plus gourmande en oxygène influent positivement sur la dérive cardiaque, c’est-à-dire l’augmentation de la consommation d’oxygène et des fréquences cardiaques pour une même intensité d’effort. Ce phénomène est accentué par l’augmentation du coût énergétique, tributaire entre autres de la modification du pattern de foulée au fil des kilomètres. Nous verrons comment se préparer à tous ces désagréments à l’entraînement.
« No brain, no gain »
Revenons à notre tempo qui va s’exprimer en vitesse (km/h) ou en temps au kilomètre. Pour les athlètes entraînés, un marathon se court statistiquement à 80% de la Vitesse Maximale Aérobie, elle-même préalablement définie par un test de VMA. Un coureur lambda avec 16 km/h de VMA pourra statistiquement miser sur une vitesse de course de 16*0.8 = 12.8 km/h, soit 4’41/km, et un temps final de 3h18. Bien entendu, la performance ne se limite pas à un simple calcul, et la performance aérobie dépend également de la fraction de VO2max (ou VMA) ou endurance, et du coût énergétique de la foulée.
Pour les athlètes moins entraînés et débutant sur la distance, on s’aperçoit que les variations sont énormes et que le pourcentage de VMA se situe plus vers les 60-70%. Moins on est entraîné et plus l’allure du marathon se rapproche de l’allure du footing. Du coup, il est plus intéressant de travailler aux fréquences cardiaques, et notamment les fréquences cardiaques de réserve, qui reflètent mieux l’intensité de l’effort aérobie. A ce stade, nous déconseillons vivement de courir un marathon sans une préparation physique adaptée car le plaisir doit rester au centre de la performance. A l’adage trop souvent entendu ‘’No pain, no gain’’, préférons celui-ci : ‘’No brain, no gain’’car un marathonien averti en vaut deux. Moins le coureur sera préparé et plus son temps final sera aléatoire.
La détermination du tempo doit se faire au moins 2 mois avant le marathon objectif, afin de travailler cette allure clé durant la phase de préparation spécifique et faire les ajustements nécessaires. En mémorisant cette allure, l’organisme va améliorer la coordination intermusculaire (agoniste-antagoniste) et intramusculaire, et ainsi optimiser l’économie de course à la vitesse cible. Toute variation intempestive autour de cette allure sera consommatrice de glycogène et entamera ce fameux capital dont la dilapidation est synonyme d’arrêt brutal dans la progression. Sur ces séances, il est important de tester les chaussures de compétition.
Toutefois, l’entraînement du marathonien ne se limite pas à répéter l’allure tempo. Il doit également assurer les bases avec des sorties longues en endurance fondamentale (60 à 70% VMA ou FC réserve), des séances au seuil pour optimiser le seuil d’accumulation des lactates, des séances de VMA/PMA pour améliorer la puissance aérobie, des séances de renforcement musculaire pour aider la machine corporelle à produire plus longtemps le même mouvement et à résister à la répétition des chocs, et des étirements pour améliorer la récupération. A cela ajoutons une alimentation et une hydratation qui apporteront les carburants nécessaires en quantité et en qualité.
Des statistiques, encore et toujours
Les chiffres nous rassurent. Mais attention, s’ils sont valables à l’échelle d’une population, ils le sont rarement à l’échelle de l’individu. Statistiquement, un marathon se court à 80% de sa VMA, un semi-marathon à 85% et un 10 km à 90%. Si l’on raisonne en termes de chronos, le temps sur marathon est égal à 2.1 à 2.2 fois le temps sur semi, et à 4.7-4.8 fois le temps sur 10km, l’imprécision augmentant avec l’écart de temps et de distance. Cela nous donne les fourchettes suivantes :
VMA en km/h | Temps sur semi-marathon | Prévisions sur marathon | |
Temps arrondi à la mn | + | – | |
14 | 1h46 | 3h43 | 3h53 |
15 | 1h39 | 3h28 | 3h38 |
16 | 1h33 | 3h15 | 3h25 |
17 | 1h28 | 3h05 | 3h14 |
18 | 1h23 | 2h54 | 3h03 |
19 | 1h18 | 2h44 | 2h52 |
20 | 1h14 | 2h35 | 2h43 |
Prévisions marathon/temps sur semi, pour athlètes entraînés
Pour ceux qui ont déjà couru un marathon, il est plus raisonnable de partir du chrono effectué et de mesurer dans quelles conditions on peut l’améliorer ou le répéter.
Un marathon en tranches pour ne pas finir pressé comme un citron
Que faire concrètement le jour J ? Tout d’abord s’échauffer 10 à 15mn à allure basse et progressive, et conclure par de légères accélérations. Puis se placer dans la zone de départ, le plus tard possible pour éviter de piétiner de longs moments, très difficile sur les grands marathons internationaux. Tout en profitant du moment extraordinaire du départ, veillez à rester concentr(e)é sur vos propres objectifs en vous remémorant au besoin les allures. Comme pour les phases de décollage et d’atterrissage en avion, le départ et l’arrivée du marathon sont des moments clés qui conditionnent la réussite de ce voyage intérieur.
KM 0 à KM5 : Vérifiez chrono et fréquences cardiaques (si vous portez un cardiofréquencemètre) dès le premier kilomètre. La folie du départ peut vous emmener sur un faux rythme que vous pourriez regretter plus loin. Juste après le départ, il est probable d’avoir un cœur battant rapidement mais cela doit très vite revenir sous contrôle.
KM 5 à KM 10 : La dépense énergétique doit être stabilisée, l’allure cible trouvée. Bien entendu, l’allure peut varier en fonction des conditions météo et des difficultés du parcours. La vitesse peut donc baisser, ou augmenter en descente, mais l’intensité d’effort reste la même, donc les fréquences cardiaques demeurent stables. A ce moment du parcours, si loin du but, vous devez rechercher l’aisance et la régularité.
KM 10 à KM 20 : C’est logiquement la partie la plus facile du marathon car le corps est bien chaud et la fatigue ne se fait pas encore faire sentir. Il faut donc se retenir d’accélérer, rester dans ses plages de fréquences cardiaques, garder une foulée souple et efficace, et laisser partir au besoin les kamikazes. La FC cible, statistiquement autour des 80% de la FC réserve, est surtout celle que vous avez déterminée sur vos séances tempo et sur un éventuel semi-marathon de préparation.
KM 20 à KM 30 : La mi-course est passée. 2 phénomènes se produisent : le corps produit de la chaleur qu’il ne peut pleinement évacuer. Pour se refroidir, le flux sanguin est dérivé en partie en périphérie, privant ainsi les membres inférieurs d’un précieux apport en oxygène. Du coup, pour maintenir une même intensité d’effort, le débit cardiaque doit augmenter. Ce phénomène est appelé dérive cardiaque. De manière concomitante, la fatigue s’installe, nerveuse et musculaire. Les contractions se font moins bien, l’amplitude de la foulée diminue, le temps de contact au sol s’allonge, la stiffness diminue, et le ressenti d’effort est plus important aux mêmes allures que précédemment. Pour maintenir la vitesse, il va donc falloir élever l’intensité de l’effort.
KM 30 à 35 : c’est la fatigue musculaire qu’il devient compliqué de juguler. La foulée est de plus en plus heurtée, courte, irrégulière. Pour certains, le voyant de la jauge de carburant s’est allumé. Il faut lutter d’arrache-pied contre la déperdition de vitesse et accumuler les kilomètres puis les hectomètres en restant fixé sur son objectif et en faisant cause commune avec d’autres coureurs. A ce stade, il n’est plus nécessaire de contrôler les fréquences cardiaques, le corps reconnaît ses limites. De plus, la fatigue musculaire entraîne une diminution de la demande en oxygène dont l’effet est la baisse des pulsations.
Km 35 à l’arrivée : Il reste 7 kms, ce qui peut représenter un temps de course assez long, jusqu’à 40mn et plus pour le milieu de peloton. Si la force manque, on raccourcit la foulée et on essaie de mettre plus de fréquence pour compenser la perte de vitesse. Au km 37, le compte à rebours commence, l’arrivée se rapproche, le cerveau l’a compris et stoppe son contrôle inhibiteur, ce qui permet à certains de finir en trombe. Mais dans la plupart des cas, en manque de glucose, le cerveau se protège et prive les muscles des dernières gouttes de carburant. Tout devient difficile, le mur est bien là et va se déplacer avec vous jusqu’à l’arrivée. D’où l’importance d’avoir bien respecté le tempo dès le début de la course.
Pour les athlètes moins entraînés et ne possédant pas de références, il est plus difficile et aléatoire d’exploiter les statistiques. Il est préférable de se mettre des limites en termes de fréquences cardiaques, encore une fois dans le but d’être le plus régulier possible dans l’intensité de son effort. Ces limites doivent être définies au cours de la préparation et correspondent dans la plupart des cas à de l’endurance fondamentale, 60 à 70% de la fréquence cardiaque de réserve, souvent moins. Mais pour cette catégorie d’athlètes encore plus que pour les autres, la casse musculaire sera le principal facteur limitant.
Alors tous à vos calculettes pour définir allures et fréquences cardiaques car plus vous serez pertinent dans la définition de vos allures, plus votre gestion sera aisée et plus vous prendrez de plaisir à accomplir le marathon.
Un tableau des allures ici : http://amscap.free.fr/cap/allures.php
Texte : Pascal Balducci.
Photos : Yves-Marie Quémener et Jiro Mochizuki
Cet article est paru dans les pages conseils du numéro 241 de VO2 Run.