La cinétique de VO2 : « Décrassez » le moteur !
D’apparence trop scientifique, le concept de cinétique de VO2 est négligé dans la plupart des programmes d’entraînement. Pourtant, c’est un levier important de la performance aérobie, assez facile à évaluer et à utiliser à l’entraînement. Tentons d’éclaircir cette notion.
De l’oxygène, vite !
L’oxygène (ou plutôt le dioxygène, O2) est un élément précieux, indispensable à la vie. Incapables de le stocker, nous devons donc le prélever en continu dans l’atmosphère. La VO2 ou le VO2 puisqu’il s’agit d’un débit, est la consommation d’oxygène par l’organisme. Nous prélevons de l’oxygène dans l’air ambiant pour l’amener au niveau des mitochondries, petites usines énergétiques de la cellule, au sein desquelles se transforment les composés énergétiques (glucides, lipides) en énergie directement utilisable par l’organisme. L’oxygène est le comburant des combustions énergétiques. Par ailleurs, plus l’effort est intense, plus la demande en O2 augmente au niveau musculaire, et plus sa consommation doit s’élever jusqu’à atteindre le fameux VO2 max. Pour que l’oxygène puisse parvenir aux muscles, deux éléments sont essentiels : la pression de l’air ambiant (liée à l’altitude) et la capacité du corps à utiliser effectivement cet oxygène ambiant.
En effet, l’oxygène rencontre de nombreux obstacles dans notre corps et le chemin vers la mitochondrie n’est pas un long fleuve tranquille. C’est pour cela que l’on parle de cascade de l’oxygène. Les premières résistances sont ventilatoires (diffusion alvéolo-capillaire) puis cardio-circulatoires, intra-musculaires et enfin intra-mitochondriales. A chaque étape, l’oxygène perd une partie de sa pression pour franchir les parois. En situation de normoxie (plaine) et en l’absence de pathologie, la résistance cardio-circulatoire est le principal facteur limitant, mais en altitude (hypoxie), l’importance relative des barrières change, la résistance ventilatoire devenant dominante sur la résistance cardio-circulatoire.
Le terme de cinétique fait référence à la vitesse du déplacement de l’oxygène dans notre organisme. Plus cette vitesse est importante et plus l’offre peut venir satisfaire la demande sans contracter de dette. On parle de rapidité de l’ajustement de la fourniture aérobie. Pour des raisons que nous allons détailler, cette cinétique de VO2 fait partie des paramètres de la performance aérobie à plat, avec le VO2 max, l’économie de course et l’endurance (fig 1).
Fig 1 : Les facteurs de la performance aérobie – Crédit photos : F.Oddoux
En résumé, le VO2 max témoigne de la capacité de l’organisme à prélever l’O2 de l’air ambiant, à l’amener au niveau des muscles et à l’utiliser pour dégrader les substrats énergétiques. C’est la puissance du moteur. L’économie, comme en voiture, c’est la consommation de cet O2 par unité de distance. Sur le terrain, la fameuse Vitesse Maximale Aérobie est le rapport entre le VO2 max et l’économie de course. Enfin, l’endurance est la capacité à utiliser le plus haut débit d’oxygène sur une distance ou une durée données. La cinétique vient compléter ce panel de facteurs qui n’est pas le plus difficile à évaluer.
A vos cardios !
Les physiologistes se sont beaucoup intéressés au concept de cinétique et s’y intéressent encore car elle n’a pas livré tous ses secrets. L’évolution de la consommation d’oxygène en fonction du type d’exercice (peu intense vs intense) a fait l’objet de nombreuses études et les chercheurs distinguent différentes phases que l’on peut résumer ainsi :
Fig 2 : les phases de la cinétique de VO2
Laissons ces détails aux physiologistes et intéressons-nous à la cinétique de VO2 sur le terrain et aux moyens de l’évaluer. Là encore, 2 possibilités : un test avec analyseur de gaz portatif (type Metamax) ou un simple test avec cardiofréquencemètre, mais la même contrainte : il doit s’agir d’un temps limite afin de solliciter le plus rapidement possible la consommation maximale d’oxygène. Un temps limite est un effort maximal sur un temps (4 à 6 mn) ou une distance donnée (variable selon les sujets). Voici un premier exemple sur le terrain avec Thibaud Baronian (athlète de trail) effectuant un temps limite en côte. Avec cet athlète expert, on constate que le VO2max est atteint en moins d’une minute, ce qui est exceptionnel. Ensuite, la consommation d’oxygène reste constante jusqu’à la fin. Cet athlète est donc terriblement armé pour les variations d’intensité en course, le robinet d’O2 ayant une large amplitude de débit.
Fig 3 : cinétique de VO2 sur le terrain. Photo : F. Oddoux – Piste Carole Montillet – Villard de Lans
Bien entendu, ces moyens sophistiqués sont le plus souvent destinés à la recherche. Qu’importe, puisqu’avec un simple cardio-fréquencemètre, on peut avoir une bonne représentation de sa cinétique de VO2, l’élévation des fréquences cardiaques étant bien corrélée à celle du VO2. Voici comment procéder : tout d’abord il est préférable de réaliser un test progressif d’évaluation de la VMA, de type VAMEVAL, afin de déterminer la vitesse maximale aérobie. Ensuite, quelques jours plus tard, et après échauffement, on réalise le temps limite qui consiste à courir le plus longtemps possible à VMA. Si ma VMA est de 15 km/h, je pars sur un rythme de 24s au 100m et je tiens le plus longtemps possible. Ensuite, j’observe ma courbe de FC.
Voici une première courbe d’athlète peu entraîné. On observe une cinétique lente, l’athlète n’approchant sa FC max qu’au bout de 4mn.
Voici à présent la courbe d’un athlète entraîné, on constate la rapide montée en fréquence et l’atteinte de FC max en un peu plus de 2 mn. Comme pour le test de terrain, l’intensité se stabilise ensuite jusqu’au terme de l’exercice.
Fig 5 : cinétique lente
Adieu les 30/30
A quoi ça sert ? Voilà une question bien légitime. Tout d’abord, si la différence expert – non expert apparaît si clairement, c’est bien que la cinétique est un facteur de performance. Ensuite, imaginons que les deux athlètes dont les courbes figurent ci-dessus fassent une séance de « sacro-saints » 30/30. Au bout de 30s, le premier restera bien loin des zones physiologiques de la VMA, et en fin de séance, il n’aura passé que très peu de temps dans les zones cibles.
Pour le second, tout va dépendre de l’intensité de la récupération. Si celle-ci est active (60% VMA), il aura effectivement développé ou entretenu sa VMA. Si elle est passive, l’objectif ne sera pas atteint. Par conséquent, pour un athlète avec faible cinétique, ce qui est le cas d’athlètes débutants, de coureurs plus âgés, ou de coureurs travaillant peu en qualité, il est nécessaire d’adapter les séances.
Première adaptation : l’échauffement. Quand on réalise une séance de qualité, on la décompose en plusieurs phases distinctes : échauffement – séance – récupération. L’échauffement doit être progressif (15 à 25 mn de course), suivi de séries d’éducatifs et d’accélérations qui vont préparer les systèmes cardio-vasculaires, musculaires et squelettiques à l’effort intense qui va suivre. On évite donc les séances en continu.
Deuxième adaptation, la durée des fractions. Pour un athlète à cinétique plus lente, on allonge le temps de fraction afin de laisser le temps à l’oxygène d’atteindre les muscles. Pour de la VMA courte, on effectue des fractions d’au moins 45s, la répétition permettant d’atteindre la consommation maximale d’oxygène.
Troisième adaptation : la durée et l’intensité de la récupération. On privilégie une récupération courte (30s/20s ou 45s/30s ou 1mn/40s …) et active (50 à 60% VMA). Si vous êtes obligés de vous arrêter après la fraction, en hyperventilation et les mains sur les cuisses, vous ne travaillez pas en aérobie mais en capacité anaérobie alactique, ce qui n’aura pas du tout le même impact sur vos performances en compétition.
Enfin, la durée totale du corps de la séance doit rester raisonnable. Parfois, les athlètes au long cours, marathoniens ou trailers – pensent qu’il leur faut de nombreuses séries (du type 4 x 10 x 30/30) pour développer efficacement leur VMA. Encore une fois, en observant leur VO2 ou leur FC, on s’aperçoit qu’ils font au mieux un travail de seuil, le volume étant trop important pour faire de la qualité. Pour ces athlètes, il serait au contraire préférable de se concentrer sur une séance de faible volume mais de haute intensité.
D’autres séances sont à même d’améliorer la cinétique de VO2 : c’est le cas des séances de vitesse, à plat ou en côte, et des séances de fartlek où l’athlète essaie d’atteindre très rapidement la plus haute intensité en jouant avec le terrain.
En améliorant sa cinétique, le coureur se sent maître de lui-même, comme un pilote capable de mettre les gaz au moment voulu pour dépasser ou attaquer une côte, et cela sans dégâts associés. Travailler sa cinétique, c’est lutter contre la diésélisation du coureur de fond qui répète inlassablement les mêmes séances avec les mêmes intensités, et les résultats se font vite ressentir.
A vous de jouer à présent. Avez-vous une cinétique lente ou rapide ? Evaluez-là et adaptez vos séances de VMA en conséquence afin de travailler efficacement, de progresser, et d’augmenter votre plaisir à l’entraînement et en compétition.
Texte : Pascal Balducci
Photos : Yves-Marie Quemener