Thierry Choffin, le sprinteur devenu entraîneur de demi-fond
Après une courte carrière de sprinteur, Thierry Choffin est devenu « un peu par hasard » entraîneur de demi-fond. Avec succès. A 53 ans, celui qui coach un groupe conséquent d’athlètes –avec en figure de proue Rénelle Lamote (1), qui défendra son titre sur 800 m ce week-end aux championnats de France Elite-, raconte comment il a apprivoisé ce défi, sa façon d’entraîner et ses motivations, sans oublier l’intermède bobsleigh.
« Oui, je suis sprinteur. C’est ce qui surprend tout le monde » se marre Thierry Choffin, rencontré près de la buvette du stade Georges Hébert lors des championnats de France Elite à Reims en juillet dernier. Venu à l’athlé « vraiment par hasard » dans le sillage de sa sœur, le natif de Lyon, 53 ans, compte trois sélections chez les jeunes, et des records perso avoisinant « 10’’50 sur 100 m (10’’56 précisément) et 21’’30 sur 200 m (21’’37) ». De la ville des Lumières, il partit à Fontainebleau après l’obtention de son CAPES. Côté athlé, il s’entraîna alors sous la houlette de l’entraîneur national de sprint Jacky Verzier. « Il entraînait aussi les demi-fondeurs. Au bout d’un moment, Jacky en a eu marre de les entraîner. J’ai repris la section demi-fond. J’y connaissais que dalle et ça ne me plaisait pas plus que ça avec la scission demi-fondeurs-sprinteurs » sourit Thierry Choffin.
C’était en 1988. 27 ans plus tard, celui qui s’est fait un nom dans le landerneau athlétique ne le regrette pas. Il coache au total une cinquantaine d’athlètes entre son club de l’Athlé Sud 77, les deux sections sportives (lycée) et le pôle espoir de Fontainebleau. Dont une vingtaine de jeunes évoluant à haut niveau et ayant pour la plupart côtoyés l’équipe de France, avec comme figure de proue Rénelle Lamote (1), toute récente recordwoman de France espoir 800 mètres et qui part favorite ce week-end à Aubière pour engranger un deuxième titre consécutif aux France indoor.
Son propre cobaye
Un sprinteur qui coache des demi-fondeurs, ça paraît un brin déconcertant. Presque iconoclaste. « J’ai eu la chance de tomber sur trois, quatre cadets qui ont marché tout de suite. C’est ce qui a fait que j’ai continué. J’ai appris sur le tas. J’ai arrêté de courir assez tôt, et comme je ne connaissais pas trop le demi-fond, j’ai essayé les séances sur moi » précise t-il. « Il fallait que je sache ce qu’était une séance de fartlek ou de seuil. Il y avait les sensations des coureurs mais ça ne me suffisait pas ».
Rapidement, un premier titre de champion de France avec Cyril Clinard ponctue ses débuts. « J’ai aussi beaucoup appris avec les frères Rodrigues que j’ai suivis de cadets à vétérans (2). Et j’avais des connaissances. J’ai très vite passé le BE2. J’ai fait pas mal de colloques, j’ai travaillé quoi ! » se marre une nouvelle fois Thierry Choffin.
Il est enjoué, a le rire facile, semble détaché et ne pas tout prendre au sérieux. Une façade ? L’homme a sûrement ces traits de caractère, moins l’entraîneur. « Avec les jeunes, il y a de la distance. Ils me craignent » dévoile t-il. De la crainte ? « Oui. Des fois, je réagis un peu fort, je n’hésite pas à les secouer. Par contre, après je suis à l’écoute, je discute de manière un peu plus calme. Quand ils font leur soirée, j’essaie de ne pas y aller, même si on est proches et qu’on vie des moments sympas ».
L’importance du groupe
Ce qui passionne Thierry Choffin, c’est avant tout « entraîner les jeunes » (cadets à espoirs). C’est peut-être aussi mon côté prof » glisse t-il sourire au bout des lèvres. Les faire progresser, aussi bien « sur le plan athlétique qu’éducatif », pas à pas, patiemment, au gré des soubresauts de la vie, vers le meilleur. Une activité très prenante alors qu’il est prof à l’ESPE (qui a remplacé l’IUFM) dans la vie active. « Mais je ne le veux que l’athlé soit l’essentiel de ma vie. Ça rend un peu fou l’athlé à 100 % » lâche t-il en riant.
Thierry Choffin est parvenu à construire un collectif envié autour de ses jeunes. « Je n’ai pas provoqué le truc. J’ai eu la chance de tomber sur une ou deux filles performantes, et de les garder, ce qui n’est pas facile avec les études. Quoi qu’il arrive, on mise toujours sur le groupe. On fait les Interclubs, les France de relais, les cross par équipes (les filles ont été championnes de France sur le court en 2014, les juniors garçons 2e). S’entraîner ensemble avec des objectifs communs, c’est ça qui cimente le truc. On y arrive plus facilement avec les filles qu’avec les garçons ».
Ah oui ? « Chez les filles, les ego, ça ne pose pas de problèmes. Elles sont amies. Il n’y a jamais de rancœur. Les garçons, ils sont contents d’être ensemble, mais à un moment donné, quand ça va être un peu plus dur dans la course, quoi qu’il arrive, le mec pensera à lui alors que les filles, elles vont mourir sur la piste. Enfin, c’est comme ça pour moi, pour les autres coaches, je ne sais pas ! ».
« Une lutte permanente »
Il a vu défilé des parcours de vie(s). A l’instar d’Ernest Ndijissipou, originaire de la République Centrafricaine, et 45e sur le marathon des Mondiaux 2003 de Paris (en 2h18’06’’, son record perso). A l’instar des bobbeurs –lui-même en a fait après avoir stoppé l’athlé- Eric Alard et Eric Le Chanony, médaillés de bronze aux championnats du Monde 1995, et qu’il a entraînés (sur l’aspect sprint). Des instants qui figurent parmi ses meilleurs souvenirs. Mais pas que. « Il y a plein de très beaux moments, c’est dommage d’en ressortir. Il y a aussi des moments inattendus, des belles courses. C’est justement ça qui te fait continuer. Quand tu vois une super course, tu te dis : “ah oui ça vaut le coup quand même“. »
Des courses probantes, Thierry Choffin en voit souvent ces derniers temps. « Je crois que c’est une période faste. Ce que je ne sais pas, c’est comment ça va se gérer avec Rénelle. Parce qu’il y a en a une qui sort du lot. Ça va être un peu nouveau pour moi » confie t-il. En 2012, ses deux athlètes, Rénelle Lamote et Camille Laplace, avaient couru en 2’05’’ sur 800 m (2’05 »23 pour la première, 2’05 »81 pour la seconde), prenant part aux Mondiaux juniors à Barcelone.
Depuis, l’une a explosé, l’autre a stagné. « Oui, c’est compliqué. Camille passe à travers, elle ne se bat pas du tout alors que d’habitude elle est super combative » glisse t-il alors qu’elle venait de se faire éliminer en séries des France Elite vendredi 11 juillet. « On n’en parle jamais. Peut-être qu’elle souffre du fait que Rénelle sorte. Je suis pourtant vachement vigilant à m’occuper de tout le monde » poursuit-il, alors que la courbe semble s’inverser pour Camille Laplace, qui a battu son record perso indoor cet hiver (2’06’’81) et sera l’une des prétendantes au podium ce week-end aux France indoor à Aubière.
Une vigilance qui requiert un sempiternel investissement. « Si je vais entraîner encore longtemps ? « Les jeunes changent beaucoup, mais beaucoup. Ils sont pénibles » relève t-il, intonation de la voix à l’appui. « Ce n’est pas être un vieux con que de dire ça, ou peut-être, mais les valeurs, les codes changent. On est partis en stage à Obernai (début juillet), c’était compliqué. Ils sont complètement dépendants du portable, ils se couchent tard. Il faut de plus en plus poser le cadre. Ils rêvent beaucoup, ne mettent pas forcément les moyens. C’est une lutte permanente. Mentalement, tu y laisses un peu des plumes. Les France jeunes, c’est quelque chose ! C’est ça qui fait qu’un moment il faudra se calmer un peu ».
Mais si les « super courses » s’accumulent, alors…
(1) Aux championnats de France Elite ce week-end à Aubière, près de Clermont, on retrouvera plusieurs athlètes entraînées par Thierry Choffin. Avec Rénelle Lamote (1er chrono des engagées), et Camille Laplace (5e et 4e Française) sur 800 m ; Emma Oudiou (4e chrono, sélectionnée aux Mondiaux à Eugene sur 3 000 m steeple l’été dernier et recordwoman de France junior sur la distance) sur 1 500 m ; Azeline Martino (5e et 4e Française) sur 3 000 m.
Thiery Choffin coach aussi -liste non exhaustive- Aisse Sow (10’07’’54 sur steeple l’été dernier), Alexis Bosio (junior, 3’48’’61 l’été dernier et champion de France de la catégorie sur 1 500 m ; 5e des sélections juniors pour les Europe de cross à Gujan), Mehdi Frère (Bondoufle Ac, junior, 8’25’’41 cet hiver sur 3 000 m ; 10e des sélections à Gujan-Mestras) ou Benjamin Dupont (junior, 3’55’’80 sur 1 500 m, 13e des sélections à Gujan-Mestras).
(2) Antonio et Victor Rodrigues. Victor est notamment vice-champion de France du marathon en 2004. Son record : 2h20’18’’ en 2003 (1h06’25’’ sur semi en 2001).