Yosi Goasdoué, un titre « hallucinant »
Champion de France de semi-marathon à Fort-de-France, l’affable Yosi Goasdoué, expert ès relations internationales, a relancé à 25 ans sa carrière. Portrait.
Yosi Goasdoué savait qu’il avait ce titre dans les jambes, dans la foulée d’un premier probant semi-marathon, bouclé en 1h05’54’’ début septembre à Lille ; et en l’absence de surcroît des tous meilleurs spécialistes français de la distance, chacun ayant des objectifs différents à cette période de la saison. C’est pourquoi il s’est rendu à Fort-de-France en Martinique dix jours avant la course, histoire de s’acclimater aux 35 degrés et davantage. Bien lui en a pris ! Car, après une course tactique dominée en 1h09’34’’, l’athlète de 25 ans est monté sur la plus haute marche d’un podium hexagonal auquel il n’avait jamais encore goûté, jeunes catégories y compris.
« Une satisfaction ? C’est presque un euphémisme » se marre t-il. « Dans le sens où cela vient après un long chemin » relève celui qui s’est offert une belle ovation du public martiniquais. « Même tout au long du parcours, il y avait une bonne ambiance. Après, il y avait le petit faux-semblant : ils me prenaient pour un Martiniquais, donc ça décuplait leur énergie. C’était vraiment cool. La dernière ligne droite était fun, je me suis un peu amusé avec le public » souligne Yosi Goasdoué, rentré de Martinique en fin de semaine dernière, où il a pu profiter avec ses potes de Free Run (désormais section de l’A3 Tours, où il est licencié) des « belles plages paradisiaques » tout en s’apercevant de sa soudaine notoriété. « Je ne suis que champion de France de semi et c’était assez hallucinant » sourit-il. « Il n’y a qu’un journal là-bas, France-Antilles. Le lendemain, il y avait ma photo en première page. Les gens me reconnaissaient dans la rue. C’était fou ».
Cette victoire met en relief le parcours singulier de l’Ethiopien de naissance. Né le 17 septembre 1990 à Addis-Abeba, Yosi Goasdoué arrive en France à deux ans, adopté par une famille sise à La Chapelle-sur-Erdre, près de Nantes. « Je suis né pendant la guerre civile. J’ai très peu d’informations sur mes parents biologiques. J’ai été plus ou moins déposé dans un hôpital. Je ferais peut-être des démarches plus tard pour les rechercher. Mais là, j’ai un équilibre ».
Une bourse aux USA
Il découvre la course à pied dans la foulée de bons résultats au collège, comme pléthore de coureurs. « Je m’y suis mis à 14-15 ans. Je trustais un peu les podiums. Mais ce qui est marrant, c’est que j’ai gagné très peu de courses, peut-être deux ou trois ». Il s’est adjugé celle qu’il fallait…
Bac en poche, il rallie grâce à une bourse les Etats-Unis à la rentrée 2010, dans le Kentucky, où il mène son double projet. L’étudiant en sciences politiques, spécialité relations internationales, poursuit ainsi sa progression en course à pied, où son talent avait déjà été entrevu chez les juniors, avec une sélection aux championnats d’Europe de la catégorie en 2009, sur 5 000 mètres.
A coup de 120 à 130 km hebdomadaires –« c’est là où j’ai appris à faire du tempo»-, Yosi Goasdoué se fait un nom en France en claquant en avril 2011 29’40’’10 sur 10 000 mètres, lors des championnats universitaires de division II.
« Ça été un peu la révélation : j’ai vu que j’étais bien sur le long. Mais j’ai ensuite eu une fissure au ménisque et j’ai eu une une année un peu blanche ». A l’issue de son Bachelor, fin 2013, retour dans l’Hexagone où il pose ses valises à Lille, rejoignant le groupe d’Alain Lignier, par le truchement notamment de son pote Simon Denissel. « Je ne remets pas du tout en cause Alain, mais pour que je sois bon sur 5 000, il faut que je fasse une prépa 10 000. Et, effectivement, une prépa semi pour le 10 000. Là, l’entraînement était plutôt calqué sur Simon, qui était sur 1 500 – 3 000 m ».
« Je me suis demandé si je continuais pour essayer de percer ou si je m’arrêtais »
S’il réalise 14’10’’03 à Carquefou en avril 2013 (cinq secondes de mieux que son record américain), sa progression a tendance à stagner, alors qu’une nouvelle fissure au ménisque en janvier 2015 l’invite –l’oblige, plutôt- à la remise en question. À l’instar de nombreux coureurs, écartelés entre leur projet professionnel et la poursuite d’une pratique intensive de l’athlétisme, avec le maillot bleu blanc rouge dans le viseur.
« J’ai sorti mes gros chronos en 2011. Depuis, ça a été trois quatre années un peu dures. J’arrivais à m’en sortir quand je faisais mes études, mais je les ai finies en juin. Je me suis demandé si je continuais pour essayer de percer ou si je m’arrêtais » glisse celui qui a validé l’été dernier un master en relations internationales.
Le manque et l’appel des runnings ont cependant été plus forts. « J’étais bien entouré, avec Olivier Gaillard qui m’a bien boosté. La famille aussi alors que mon club a toujours été là aussi. Et c’est aussi intrinsèque : je n’ai pas couru en janvier, février, mars et j’ai compris que l’athlé c’était mon truc ».
Olivier Gaillard, qui l’entraîne depuis août 2014. « On s’est tout de suite bien entendus. Ça été le premier coach à me dire qu’il fallait que j’aille sur 10 000 m, sur semi et qui a aussi compris comment je fonctionnais. Il s’est plus adapté à moi que moi à lui. Il a été très fort là-dessus ».
Olivier Gaillard, son entraîneur : « Il m’a épaté »
Le coach de 32 ans, licencié à l’Usm Malakoff et également titulaire d’un record de 2h32’42 » sur marathon (Hambourg cette année), corrobore : « Yosi s’éparpille pas mal, et il faut vraiment être derrière lui. Je crois que la plus grosse réussite pour le moment n’est pas forcément le côté sportif, parce qu’il a les qualités – ce qu’il a fait avec ses précédents entraîneurs compte énormément. J’ai peut être réussi à lui faire prendre conscience de ses qualités et des sacrifices qu’il devait faire pour les exploiter. Ça se joue beaucoup sur l’aspect « relation humaine » et ça a été favorisé par le fait qu’on se soit de suite bien entendus. Aujourd’hui, il est beaucoup plus posé, sérieux et déterminé pour réussir. Il s’éparpille moins. Il m’a épaté ces derniers mois. Il a fait le métier à fond : la récupération, le sérieux, l’entraînement, l’alimentation… Je n’étais pas sur place (aux France de semi) et même si on est en contact de façon quasi journalière, il s’est parfaitement géré ».
Après sa deuxième fissure au ménisque, Yosi Goasdoué a « sérieusement » repris l’entraînement début mai. « Trop court » pour la saison sur piste, il a décidé de se lancer sur semi. Les sensations rapidement revenues, il a enquillé les bornes à Font-Romeu, en juillet, en compagnie notamment de Yohan Durand. « Quand il te dit : “Tu as 1h04 – 1h05’ dans les jambes“, tu te dis : “putain, j’y vais“. On a fait de grosses sorties, comme 1h45’ à 3’45’’ au kilo. Ce stage était vraiment plaisant et j’ai vraiment repris goût à l’entraînement de haut niveau, avec 160 km par semaine. Et Yohan m’a aussi vraiment donné envie de faire du marathon ».
« La problématique des réfugiés m’a marqué car je trouve que c’est une double peine »
Prêt à s’attaquer aux 21,1 km, donc. « Au semi de Lille, il y avait un peu le côté jubilé : c’était un peu le dernier “shot“ (la dernière chance) et ça a carrément marché » résume avec le sourire celui qui bosse dans un petit théâtre le soir (il s’occupe de la billetterie, et lit en attendant la sortie des spectateurs : « je suis payé à lire, j’adore lire et ça me paie à peu près mon loyer » se marre t-il) et travaille à mi-temps à l’institut de sciences diplomatiques à Paris (« Je suis coordinateur pour organiser des conférences, des débats, faire des partenariats avec des chercheurs, des directeurs de mémoire etc… »).
Les relations internationales, un domaine qui sied à celui qui « qui voyage beaucoup » et « apprécie les différentes cultures. Je me suis beaucoup intéressé à la problématique humanitaire, et des réfugiés. J’ai travaillé dans des ONG de parrainage, avec l’Ethiopie par exemple ».
Cela fait-il écho à son parcours ? « Oui, un peu. Je suis revenu à 19 ans en Ethiopie. C’était assez énorme. J’y retourne environ tous les deux ans. J’y vais pour me ressourcer personnellement. La problématique des réfugiés m’a marqué car je trouve que c’est une double peine : en plus de partir de chez eux car ils fuient la guerre, on les refuse chez nous. La France m’a accueilli, j’espère qu’elle le fera pour d’autres » explique celui qui se définit « presque ignorant » en matière de culture athlé et plus globalement en sport. « J’achète plus Le Monde que L’Equipe » se marre t-il.
L’apprentissage du Perse
Durant toutes ces années, ce voyageur invétéré a parcouru moult pays, comme l’Iran. « L’Iran était ma spécialité en relations internationales, j’étais l’assistant d’un professeur irano-belge et je faisais des conférences pour lui là-bas. J’y suis allé plusieurs fois, en touriste aussi, et je prends d’ailleurs des cours de Perse ».
Il va désormais continuer à parcourir les chemins et les routes d’entraînement. A Paris, au bois de Vincennes, et au Portugal fin octobre où il se greffera au stage national de préparation pour la sélection aux championnats d’Europe de cross (le 22 novembre à Gujan-Mestras pour les seniors hommes). « Je vais tenter, mais plus pour voir où je me situe, sans prétention aucune », précise avec humilité celui qui pourrait être sélectionné pour les championnats du Monde de semi-marathon à Cardiff en mars prochain (les modalités de sélection n’ont, comme à l’accoutumée, pas été dévoilées). Sinon, son gros objectif se situera aux France de 10 000 mètres, où il lorgnera une qualification pour la coupe d’Europe de la discipline, qui se déroulera en juin à Mersin en Turquie.
Avant de regouter avec joie au long et au macadam. « Je veux passer d’abord passer par des paliers avant : faire moins de 29’ sur 10 000 m, moins de 14’ sur 5 000 m. Mais j’ai vraiment pris plaisir à Lille et j’aime vraiment le long ». Avoir avoir apposé une première ligne sur son palmarès, la ligne bleue du marathon se profile…
Photo de une : Facebook de Yosi Gouasdoué (Christophe Gaye).