Yohan Durand, « jamais évident d’admettre la défaite »
Pour son deuxième marathon, ce dimanche 27 septembre à Berlin, Yohan Durand a abandonné après avoir été sur les bases de 2h10’ environ pendant 30 km.
Le marathon n’est pas une science exacte. On l’a déjà dit, on le répète et l’axiome se réitérera encore et encore, que l’on soit coureur lambda ou de haut niveau. Yohan Durand, trente ans, se disait confiant avant son deuxième marathon (2h14’00’’ à Paris en avril dernier) en dépit de deux compétitions délicates, mais qui s’expliquaient pleinement (lire ici). Cependant le marathon reste…le marathon.
« J’étais super bien jusqu’au 28e km. On passe au ravito au 30e. Je galère un peu puis le lièvre s’écarte. Et un mec a mis une “soupape“, le groupe a accéléré car ça ralentissait un peu. Et je n’arrive pas à coller. Je commence à charger musculairement. En 500 m, je suis passé d’un état où j’étais relativement bien à la sensation de grosse fatigue. J’ai essayé de résister pendant 4 bornes et j’abandonne avant le passage au 35e » relate au bout du fil l’athlète coaché par Pierre Messoud, qui a pris le temps de raconter sa course une dizaine de minutes durant.
Comment expliquer cette soudaine défaillance, où les muscles se tétanisent et crient leur souffrance d’un seul trait ?
Le Bergeracois se trouvait dans le second groupe, composé d’une quinzaine d’unités. Dans les clous pour glaner les 2h11’, césame (minima cependant toujours pas officiels, on se demande bien pourquoi et quand cela le sera t-il), pour les Jeux Olympiques de Rio. Scénario idéal, donc, hormis un changement de rythme impromptu entre les 5e et 10e km (voir ci-dessous), qui a peut-être eu quelques conséquences.
« Peut-être pas suffisamment fort pour envisager 2h11’ »
« On passe en 15’30’’ aux 5 km et ça a “asmaté“ (accéléré) derrière. Oui, c’est dommageable. En ayant été un peu plus régulier sur la première partie, il y avait moyen de faire mieux. Après, je n’ai peut-être pas le niveau actuellement pour faire 2h11’00’’ – au 30e, on était encore un poil en-dessous. J’ai tenté le coup. Il y a peut-être çà aussi. Une histoire de capacité. Sur mon deuxième marathon, je ne suis peut-être pas encore suffisamment fort pour envisager un tel chrono » tente t-il de poser, lucidement.
Faut-il chercher du côté de sa grosse préparation, mais essentiellement menée en altitude (il était cependant redescendu deux semaines plus tôt), où les repères à 1 800 m diffèrent franchement du niveau de la mer, comme il l’expliquait avant la course (on ne peut pas ainsi enchaîner les grosses sorties à l’allure marathon, à 3’05’’ au kilo, à Font Romeu) ?
« Complètement. Ça peut être çà ». Les ravitaillements ? « J’ai pris un gel au 32-33e pour essayer d’éviter ce passage difficile…mais ça n’a rien fait. Sinon, je n’ai loupé que le premier ravitaillement car c’était la cohue. Mais j’avais bien pris les autres ».
« Musculairement, j’étais vraiment en grosse difficulté »
Aurait-il dû terminer, et ainsi éprouver au maximum ses limites et appréhender davantage la distance ? « Je regardais les kilos, j’étais en 3’17’’, un truc comme çà. Je n’étais pas non plus à l’arrêt, mais sur j’étais sur le point d’exploser. Musculairement, j’étais vraiment en grosse difficulté ».
Les conditions étaient en tout cas réunies. « C’était top. Il y avait juste cette histoire de ravito très compliqué. Il y avait dix tables avec dix bidons par table. J’étais table 7 et ça se battait pour récupérer les bidons. J’ai loupé le premier et ce n’était pas évident pour les prendre. Mais il y avait vraiment tout pour y arriver. Au moment où le marathon commence et où çà accélère, au 30e, je n’arrive pas à accrocher».
Le premier de son groupe, le Canadien, Reid Coolseat a terminé en 2h10’28’’, devant le Belge Koen Naert (2h10’31’’).
Comme tout échec, les tentatives explications affleurent dans un inextricable enchevêtrement. Et à cela s’ajoute l’inhérente déception, où l’on ressasse sempiternellement sa course, en se projetant progressivement vers la suite…
« Il va falloir récupérer de la prépa et de la course, évacuer la frustration d’avoir abandonné et repartir sur de nouvelles échéances. Mais ce n’est jamais évident de devoir admettre la défaite. Il faut en tirer les conclusions et repartir ».
Se souvenir du chemin parcouru, aussi. Il y a un an, Yohan Durand enchaînait les pépins physiques et songeait tout juste au marathon. Sa première expérience fut prometteuse, la seconde ratée. Mais ne dit pas t-on que le chemin –souvent semé d’écueils- qui mène à la réussite est plus important que la performance elle-même ?
Les temps de passage de Yohan Durand:
-5 km : 15’31’’ ; 10 km : 30’43’’ (15’12’’) ; 15 km : 46’04’’ (15’21’’) ; 20 km : 1h01’35’’ (15’31’’) ; semi-marathon : 1h04’57’’ ; 25 km : 1h17’12’’ (15’37’’) ; 30 km : 1h32’51’’ (15’39’’).
Devant, Eliud Kipchoge s’est imposé de main de maître. Le voilà à son cinquième succès en six marathons, et une deuxième place en 2013…à Berlin en 2h04’05’’. Ce dimanche, le champion du Monde 2003 du 5 000 m a amélioré de quatre secondes son record personnel (2h04’01’’) –et sa propre meilleure performance mondiale de l’année (2h04’42’’ à Londres en avril dernier) après avoir effectué quasiment toute la course avec des semelles qui sortaient de ses chaussures ! Sacré pub pour la marque à la virgule ! Mais cela n’a pas empêché le Kényan de s’imposer, après avoir porté son attaque aux environs du 30e kilomètre.
Le record du Monde avait été évoqué avant la course, mais les temps de passage furent à en deçà de la marque de Dennis Kimetto, après les 15 kilomètres. Cela reste bien entendu un chrono de (tout) premier plan – le 9e de tous les temps-, a fortiori avec des semelles virevoltantes… Un de plus, en fait…
Les temps de passage d’Eliud Kipchoge :
-5 km : 14’39’’ ; 10 km : 29’19’’ (14’40’’) ; 15 km : 43’54’’ (14’35’’) ; 20 km : 58’39’’ (14’45’’) ; semi-marathon : 1h01’53’’ ; 25 km : 1h13’25’’ (14’46’’) ; 30 km : 1h28’10’’ (14’45’’) ; 35 km : 1h42’33’’ (14’23’’) ; 40 km : 1h57’29’’ (14’56’’).
Les temps de passage kilomètre par kilomètre de la tête de course :
Chez les femmes, c’est la Kényanne Gladys Cherono qui l’a emporté en 2h19’25’’, très gros chrono (meilleure performance mondiale de l’année ; Cherono est aussi devenue la 9e marathonienne de l’histoire), avec plus d’une minute d’avance sur la concurrence, et un negativ split à la clé (1h10’25’’ au premier semi ; 1h09’10’’ sur le second semi). A noter aussi la 20e place de Martha Komu (2h35’12’’) et les 2h42’15’’ d’Elodie Navarro-Alexandre (33e).
Tous les résultats du marathon de Berlin (hommes) : cliquez-ici.
Tous les résultats du marathon de Berlin (femmes) : cliquez-ici.
Photo de une : Yves-Marie Quemener.