Romain Rybicki, la glisse du plaisir
PORTRAIT/INTERVIEW DE LA SEMAINE. Jeune prometteur, Romain Rybicki était parti tenter sa chance aux Etats-Unis avant de stopper, écœuré, la course à pied, trois ans durant. Il s’y est remis à l’automne 2014 et a claqué 29’25’’ sur 10 km, lors de la Prom’Classic début janvier. Rencontre.
Où placer le curseur entre le plaisir et l’inhérente quête de performance ? Où trouver l’équilibre ? Dilemme rencontré par pléthore de coureurs à pied, et illustré par Romain Rybicki. Le natif de Montélimar met en exergue son appétence pour le tartan lors des France cadets sur 1 500 m en 2005, où son pied le propulse sur la troisième marche du podium.
L’année suivante, ses aspirations pour le haut niveau sombrent dans l’océan de désillusions ayant brisé moult jeunes athlètes prometteurs. « J’ai eu une pubalgie qui m’a arrêté huit mois. En junior 1, j’étais assez costaud. Aux inters de cross, je perds au sprint face à Vincent Chapuis qui avait fait à l’époque 8’45’’ au steeple (8’45’’80 à l’été 2006, ndlr), puis 7e aux France de cross. Je pense que j’aurais pu faire un top 5. Cette blessure m’a arrêté. Je pense sinon que j’aurais pu passer un palier. Du coup, je me vite plus concentré sur les études ».
Il n’abandonne cependant pas l’athlé, et bourse sportive en poche, tente sa chance outre-Atlantique, en 2009. Abilene Christian University, près de Dallas, Texas. L’aventure athlétique se fracasse cependant sur le récif de l’impérieuse « obligation de résultats. Je n’ai pas pris énormément de plaisir, et j’avais l’impression que l’on était plus dans la course à pied business » souligne Romain Rybicki, exemples à l’appui.
Deux 800 mètres, deux 1 500 m, un 5 000 et 10 000 m en deux jours…
« Il m’arrivait des fois de faire le 1 500, le 5 000 et le 10 000 m (le même week-end, donc) dans des championnats de conférence pour rapporter des points pour l’équipe. Le genre de trucs qui pour moi détruit un peu un athlète. Je me souviens du Kényan qui était leader de mon équipe et qui avait fait lors de cette compétition, en deux jours, deux séries de 800 m, deux séries de 1 500 m, le 5 000 et le 10 000 m… ».
Les 3×8, appliqué à la chose athlétique, en somme… « C’est vrai que j’ai eu du mal avec l’entraînement à six heures a jeun pour faire des footings de 20 km. Tout comme les séries de côtes allant de 400 à 800 m. Ce sont des choses qui n’étaient en fait pas du tout adaptées à ce que je faisais. Je pense que j’aurais pu l’assimiler à petites doses, sauf que ça a été du tout au tout. Je suis passé de 5 à 10 entraînement par semaine, et à faire du volume, du volume. Mon corps ne l’a évidemment pas accepté ».
Les blessures en tous genres s’enchaînent à mesure que la motivation et l’allant pour s’entraîner ou tout simplement chausser les runnings déclinent. « Mais je n’ai pas de regrets, car humainement et culturellement, c’était vraiment top de pouvoir découvrir une autre culture, voyager à travers tous les Etats ».
« J’ai tout coupé »
La houle de l’écœurement déferle des Etats-Unis à l’Hexagone, lorsqu’il revient dans son Sud natal en 2011. « J’étais arrivé à saturation et j’ai tout, tout coupé et je me suis plus concentré sur mes études» glisse celui qui vit à Toulon, et qui est responsable de rayon chez Leroy Merlin depuis 2013.
Mais, à l’horizon, la vague de la course à pied se rapproche des côtes varoises. Octobre 2014, le sociétaire de l’Ajs La Garde relace les chaussures. « J’ai décidé de reprendre une activité et un peu de plaisir, mais à l’origine 3-4 fois par semaine. Au bout d’un ou deux mois, l’esprit de compétition est revenu et je me suis remis dedans. Au bout de trois, quatre mois, j’étais avec des gens qui valaient 30’-31’ sur 10 kilomètres. J’étais assez surpris à ce niveau là » raconte t-il.
Une vingtaine de semaines après sa reprise, il court en 30’28’’ à Cannes (février 2015), sur 10 km puis réalise une probante saison estivale, 3’50’’21 sur 1 500 m et 14’19’24’’ sur 5 000 m, notamment.
Et, sur le spot très prisé de la Prom’Classic à Nice début janvier, Romain Rybicki prend une inattendue 5e place, gros chrono à la clé (29’25’’).
« Mon corps a des bases assez solides et je n’ai jamais concrétisé en compétition ce que je faisais à l’entraînement chez les jeunes. Mais après trois ans d’années de coupure, c’est quand même assez surprenant de revenir aussi vite. Je n’ai aucune blessure depuis octobre 2014, c’est ce qui me permet aussi de capitaliser sur mes 7-8 entraînements par semaine (soit 100-120 km). C’est le maximum que je puisse faire avec mes conditions professionnelles. Je n’ai aucun arrêt de plus dix jours, ce qui était souvent le cas auparavant » avançait en février celui qui s’entraîne essentiellement avec le duathlète Yohan Le Berre (qui vient de prendre le bronze aux Europe de la discipline) – ils planifient eux-mêmes leurs séances.
Mais la blessure, sorte de rocher de Sisyphe du sportif, a derechef dévalé sur le corps du Toulonnais. Une élongation aux ischio-jambiers contractée à la suite d’un sprint canon sur un 10 bornes fin février (le temps était exécrable, entre la pluie et le vent) l’a ralenti dans sa préparation. Rapidement revenu à son meilleur niveau, c’est cette fois-ci le genou qui siffle depuis deux semaines. « Je suis dans l’expectative. Je ne sais pas trop ce qu’il se passe, je vais passer une IRM dans la semaine ».
« J’essaie de calmer un peu tout le monde »
Toujours est-il que Romain Rybicki a dû ressentir une folle délectation depuis sa reprise. « Exactement. Encore plus à la Prom’ ou aux régionaux de cross long (fin janvier, il s’y est imposé), où je ne prends d’habitude aucun plaisir. C’est vrai que je surfe sur une vague. Je ne pensais pas du tout revenir à ce niveau là. Je croise les doigts, on verra jusqu’au bout ça peut m’amener ».
Justement, à 28 ans ; les ambitions de chronos, de sélection en équipe de France reviennent-elles avec vigueur pour celui qui a évolué dans son registre, lui le pistard à l’origine qui a mis l’accent sur « beaucoup plus de foncier », et qui envisage de monter sur semi-marathon ? L’objectif de performance devient-il prépondérant ? « Pour l’instant, je ne suis pas dans cette optique. Par rapport à çà, mon entourage a tendance un peu à s’emballer. J’essaie un peu de calmer tout le monde en disant qu’il ne faut pas aller plus vite que la musique. J’ai fait un bon 10 km à Nice, mais le but avant tout est de confirmer ce que j’ai fait. A la base, j’avais repris pour faire un peu les courses du coin et je ne me prends pas forcément la tête par rapport à çà ».
« Du matin au soir : “athlé, athlé, athlé“ »
Romain Rybicki s’interroge tout de même à la suite à donne à sa carrière. Avant sa blessure, il escomptait briller aux championnats de France de 10 000 mètres mercredi prochain : « pourquoi pas aller chercher un podium » relevait-il, et en corollaire une sélection pour la coupe d’Europe de la spécialité, qui est l’une des plus accessibles en demi-fond. Il espère reprendre fin avril et lorgne désormais les championnats de France sur 5 000 mètres fin juin à Angers.
Des aménagements d’horaires, une concentration accrue sur la course à pied ? « Je ne me projette pas trop. Çà va dépendre des résultats cet été. Après, on peut se demander ce que j’aurais été capable de faire si je ne faisais que courir, ou si j’avais quelques aménagements. La semaine de la Prom’, j’ai fait de la manutention pendant 45 heures, et j’ai fini à 20 heures la veille de la course. Est-ce que j’aurais pu faire mieux avec d’autres conditions ? ».
A l’inverse, le travail peut représenter le deuxième visage du Janus de la performance, et participer d’un nécessaire équilibre. « Oui, par rapport au fait que je reste dans le plaisir. Lorsque j’étais aux Etats-Unis, je me suis mis beaucoup de pression par rapport à l’obtention de résultats. J’avais trois heures de cours par semaine, et c’était du matin au soir : “athlé athlé athlé, performance“. Je pense que c’est aussi ce qui a fait que ça s’est mal passé. Contrairement à ce que je fais aujourd’hui où je suis beaucoup plus dans le plaisir que dans l’obligation, et je pense que c’est ce qui me fait perfer. Peut-être que des fois, ne pas se prendre la tête et avoir une activité derrière qui permette de penser à autre chose, aide ».
Où placer le curseur ? En attendant, Romain Rybicki glisse avec régal sur la vague de l’ivresse d’un plaisir et d’une vitesse retrouvés.
Texte : Quentin Guillon.
Photos fournies par Romain Rybicki.