Avec le record du Monde de Dennis Kimetto, le marathon au plus haut niveau perd la tête
Dennis Kimetto a battu le 8e record du Monde individuel de l’année dimanche 28 septembre lors du marathon de Berlin, en devenant le premier homme à descendre sous les 2h03’ (2h02’57’’) sur la distance. Ils furent même deux à améliorer les 2h03’23’’ de Wilson Kipsang (Berlin 2013) puisqu’Emmanuel Mutai a pris la deuxième place en 2h03’13’’, à seize secondes de son compatriote vainqueur. Mais ce qui interpelle le plus, c’est l’insigne facilité avec laquelle ces coureurs enchaînent les kilos à 2’55’’ et moins.
C’est entendu, au tournant des années 2010, le marathon masculin à très haut niveau est devenu complètement fou, avec l’explosion d’une densité de coureurs –inconnus pour pléthore d’entre eux- autour des 2h04’ – 2h05’ (il y a six ans, ils étaient trois hommes sous les 2h05’ ils sont aujourd’hui 26). C’est d’ailleurs ainsi que Dennis Kimetto s’est fait connaître, en prenant la deuxième place du marathon de Berlin (déjà) en 2h04’16’’ en septembre 2012, derrière son coéquipier d’entraînement Geoffrey Mutai*, étant dans la foulée affublé du titre officieux de recordman du Monde des «débutants» sur la distance.
Il avait également fait parler de lui quelques semaines auparavant, le 6 mai 2012, en claquant le record du Monde du 25 kilomètres à…Berlin (1h11’18’’). Avant? Pas de trace, ou presque, excepté un semi en 1h01’30’’ à Nairobi en 2011 pour celui qui fut agriculteur, partageant son temps entre le camp d’entraînement de Geoffrey Mutai (record à 2h04’15’), tout en cultivant le maïs et élevant du bétail pour subvenir aux besoins de sa famille à Kapng’tuny au Kenya, avant de partir définitivement se préparer dans le camp d’entraînement de Geoffrey Mutai, comme il le racontait dans un article paru la semaine passé sur le site américain Runners World.«Je pense que ce qui me motive vraiment à être un combattant est le fait que je viens d’un milieu humble» expliquait-il.
Kebede cède avant la mi-parcours
Le Kényan, trente ans cette année, avait frappé fort à l’automne 2013, en s’imposant à Chicago (faisant suite à un succès en février à Tokyo à 2h06’50’’), toujours devant Emmanuel Mutai, devenant au passage le 3e homme le plus rapide de l’histoire (2h03’45’’). Entre-temps, le 21 juillet 2013, il avait pris la…25e place de la classique française Marvejols-Mende… Son année 2014 fut étrange, ponctuée par un abandon à Boston (blessure à la cuisse) et une seule référence, une 3e place lors du semi-marathon d’Olomouc en République Tchèque le 21 juin dernier (1h01’42’’).Ce fut justement à trois secondes près le temps de passage des hommes de tête à mi-parcours: 1h01’45’’ dans le sillage d’une course plutôt régulière jusqu’au 15e kilomètre **.
A ce moment là, le groupe de tête compte treize secondes de retard sur la référence de Kipsang (1h01’32’’) qui avait aligné des kilos canons sur la première partie de course (2’50’’ et 2’47’’). Patience, ils vont venir…Avec les trois lièvres, ils sont encore cinq à la mi-parcours, sans l’un des favoris puisqueTsegaye Kebede (vainqueur de Paris en 2008, Chicago 2012 et Londres 2013) a lâché prise peu avant le semi (il finira 9e en 2h10’27’’).
La tendance s’inverse après le semi
Ça accélère sévère: les 10 kilomètres entre les 15e et 25e km sont courus en 28’59’’. Toujours cinq coureurs et deux lièvres aux avant-postes peu avant le 30e.Ça usine,et la tendance s’inverse. Le 30e km est atteint en un canon 1h27’37’’, dans la foulée d’un kilo en 2’50’’, soit une avance de 24 secondes sur la marque de Kipsang.Les lièvres s’écartent. Ça ne va pas assez vite pour Emmanuel Mutai, vainqueur à Londres en 2011 (en 2h04’39’’soit alors le record de l’épreuve, battu cette année par Wilson Kipsang, 2h04’28’’) qui prend les devants. Le groupe de tête s’étiole.Accrochez-vous, serrez-les fesses car ça secoue: 2’47’’ entre le 30 et le 31. Kimetto relaie son compatriote : 2’46’’ (21,68 à l’heure) de nouveau entre les 31e et 32e km. Ils ne sont alors plus que trois, avec le champion du Monde 2014 du semi-marathon Geoffrey Kamworor (record à 2h06’12’’ il finira 4e en 2h06’39’’).
Le commentateur de BeinSports en perd son latin, annonçant des kilos «en 2’20’’». Oui, oui, 2’20’’! Bon ça va, on en est pas (encore!?!) là, et Renaud Longuèvre rectifie. Il vaut mieux en rire des fois. Heureusement, Dennis Kimetto et Emmanuel Mutai n’en sont pasà scander le macadam avec le sourire jusqu’aux lèvres…Le premier est déterminé, au travers de son allure impériale. 2’52’’ entre les 32e et 33e, puis 2’48’’ ensuite. Geoffrey Kamworor lâche prise. Puis 2’58’’ pour atteindre le 35e, soit 14’10’’ sur les cinq dernières bornes.Vous croyez que ça ralentit!? Kimetto repart: 2’52’’ entre les 35e et 36e! C’est vrai, c’est beau à voir, on a envie de s’enthousiasmer.
Désagréables impressions
Mais…Mais, non, désolé. D’aucuns argueront que moult de ces athlètes courent depuis leur tout jeune âge, qu’ils vont à l’école en faisant des bornes abonderont certains. Ecran de fumée. On a la détestable impression de voir deux «clones» parcourir les rues de Berlin -même débardeur, même short, même chaussures heureusement les faciès de souffrance divergent. Deux marathoniens presque «interchangeables» -tout ce qu’«on»veut voir, c’est un record du Monde: qui se soucie que ce soit Kimetto ou Mutai ??
Le premier lui-même semble comme étranger à tout cela, à cet impérieux besoin de spectacle, de records systématiques. Ses quelques mots, presque arrachés une fois la ligne d’arrivée franchie résonneront comme la triste condition de ces marathoniens venus des haut plateaux, et parcourant la planète afin de subvenir à leurs besoins au gré des bons vouloirs de certains de leurs managers, pierre angulaire du système.Comme une impression nauséabonde que si c’était Kimetto dimanche, ça sera une autre demain, et que le même Kimetto sera vite oublié. Qui se souvient de Patrick Makau, 2h03’38’’ à Berlin en 2011 et ancien recordman du Monde??
Au 35e, le duo possédait 49 secondes d’avance. Si Wilson Kipsang avait terminé en boulet de canon en 2013 (2’49’’ de moyenne sur les deux derniers kilomètres), le duo a cependant une marge suffisante. Dennis Kimetto fait sauter son compagnon au 38e au terme d’un mano-a-mano de haute voltige et s’en va porte de Brandebourg graver son nom à jamais dans l’histoire. Il mettra les mains sur les genoux, quand même…
C’est le sixième record du Monde du marathon consécutif amélioré à Berlin (voir les chiffres ci-dessous), le 8e de l’année athlétique***. En 2h02’57’’, Kimetto relègue donc Kipsang à 26 secondes, et devient l’homme le plus rapide de l’histoire (en 2011 Geoffrey Mutai avait couru en 2h03’02’’ à Boston, sur un parcours non homologué). Tiens, Kenenisa Bekele va avoir un peu de boulot dans quelques jours à Chicago….
Toujours est-il que Dennis Kimetto repousse les limites du marathon, relançant ainsi le sempiternel, stupéfiant et grotesque débat sur les deux heures. Il reste encore près de trois minutes à retrancher. Et puis –et surtout- un marathon à 2’54’’ environ de moyenne au kilo, soit 20,59 kilomètres/heure, des tranches de 10 km parcouruesautour de 29’ et en constante accélération, ça ne suffit pasà ouvrir les yeux?
* créant au passage une polémique puisque Kimetto avait semblé laisser gagner son camarade d’entraînement Geoffrey Mutai, qui jouait la victoire sur les WWM (World Major Marathon, qui réunit les 6 plus gros 42,195 km de la planète: Tokyo, Londres, Berlin, Boston, Chicago, New York) attribuant une prime substantielle -500000 dollars- tant au vainqueur masculin que féminin.
** les temps de passage:
-tous les cinq kilomètres: 14’42’’ – 29’24’’- 44’09’’ – 58’35’’ -1h01’45’’ au semi- 1h13’08’’ au 25e -1h27’37’’ – 1h41’47’’ – 1h56’29’’.
-par tranche de cinq kilomètres : 14’42’’– 14’42’’ – 14’45’’ – 14’26’’ – 14’33’’ – 14’29’’ – 14’10’’ – 14’42’’.-par tranche de dix kilomètres: 29’24’’ – 29’11’’ – 29’02’’ – 28’52’’.
*** le 8e record du Monde de l’année après les 79,58 m de la Polonaise Anita Wlodarczyk au marteau, les 3’55’’17 de Genzebe Dibaba (1 500 m indoor le 1er février) ainsi que les 8’16’’60 de la Kényane sur le 3 000 m indoor (6 février), les 6,16 m de Renaud Lavillenie à la perche (16 février), les 1h05’12’’ de Florence Kiplagat sur semi-marathon (16 février à Barcelone, record du Monde du 20 km amélioré au passage) et les 3h32’33’’ de Yohann Diniz sur le 50 km marche aux Europe à Zurich.
Les résultats du marathon de Berlin:
Femmes: 1. Tirfi Tsegaye (Eth), 2h20’18’’ 2. Feyse Tadese (Eth), 2h20’27’’ 3. Shalane Flanagan (Usa), 2h21’14’’ 4. Tadelech Bekele (Eth), 2h23’02’’ 5. Abedech Afework (Eth), 2h25’02’’.
Hommes: 1. Dennis Kimetto (Ken), 2h02’57’’ 2. Emmanuel Mutai (Ken), 2h03’13’’ 3. Abera Kuma (Eth), 2h05’56’’ 4 Geoffrey Kamworor (Ken), 2h06’39’’ 5. Eliud Kiptanui (Ken), 2h07’28’’.
L’évolution du record du Monde du marathon:
-2h06’05’’: Ronaldo Da Costa (à Berlin), 1998
-2h05’42’’ : Khalid Khannouchi (Chicago), 1999
-2h05’38’’ : Khalid Khannouchi (Londres), 2002
-2h04’55’’ : Paul Tergat (Berlin), 2003
-2h04’26’’ : Haile Gebrselassie (Berlin), 2007
-2h03’59’’ : Haile Gebrselassie (Berlin), 2008
-2h03’38’’ : Patrick Makau (Berlin), 2011
-2h03’23’’ : Wilson Kipsang (Berlin), 2013
-2h02’57’’ : Dennis Kimetto (Berlin), 2014
Les 10 meilleures performances de tous les temps sur marathon (le classement de la course entre parenthèses)
:1. 2h02’57’’: Dennis Kimetto, Berlin 2014 (1er) 2. 2h03’13’’: Emmanuel Mutai, Berlin 2014 (2e)3. 2h03’23’’: Wilson Kipsang, Berlin 2013 (1er)4. 2h03’38’’ : Patrick Makau, Berlin 2011 (1er)5. 2h03’42’’ : Wilson Kipsang, Franckfort 2011 (1er)6. 2h03’45’’ : Dennis Kimetto, Chicago 2013 (1er)7. 2h03’52’’ : Emmanuel Mutai, Chicago 2013 (2e)8. 2h03’59’’ : Haile Gebrselassie, Berlin 2008 (1er)9. 2h04’05’’: Eliud Kipchoge, Berlin 2013 (2e)10. 2h04’15’’ : Geoffrey Mutai, Berlin 2012 (1er)