Ragna Debats – Mère courage
Il y a deux ans, la Néerlandaise devenait championne du monde de trail running mais également championne du monde de Skyrunning. Elle avait 39 ans et démarrait une toute autre carrière, plus flamboyante, plus sûre. Depuis, elle n’a cessé de confirmer dans les grandes courses, les longues distances : au Marathon Des Sables 2019 d’abord, où elle a fait jeu égal avec le top 10 masculin : elle est dans le top 10 les trois premiers jours, tombe malade juste avant la longue étape, tient le coup malgré un mal de dos (et un mal de ventre) insupportables, et termine finalement 12ème au général juste derrière Julien Chorier. Elle s’est imposée donc en force, au courage, loin devant ses poursuivantes, avec quasiment 2h45′ d’écart au final ! À la CCC®, en août dernier, elle gagne relativement facilement, devant un parterre de filles pourtant très aguerries et sans doute plus attendues : Amanda Basham, Stephanie Howe Viollet ou encore la Française Camille Bruyas. Mais sous couvert d’être une mère de famille sage et à la voix posée, Ragda Debats est une bien dangereuse compétitrice dont l’appétit de victoires et de nouveaux territoires semblent sans fin. L’interview suivante est le résultat de plusieurs entretiens, en face à face au Maroc juste après sa victoire au MDS, par téléphone suite à sa victoire à Chamonix et puis ces dernières semaines où elle termine la préparation de son tour du monde de courses toutes plus spectaculaires les unes que les autres, avec notamment la Vibram Hong Kong 100 en ligne de mire en janvier prochain, pour démarrer.
VO2run : Ragna, commençons par parler de cette victoire au Marathon Des Sables, en avril dernier, si vous voulez bien. Nous y étions, comme souvent, mais c’était vous votre tout premier engagement dans une course désertique. Vous n’aviez non seulement jamais fait de course désertique mais vous n’aviez jamais non plus mis les pieds dans un désert. Et pourtant, malgré cette virginité et malgré vos problèmes en course, vous avez pour le moins dominé votre sujet. Racontez-nous un peu cette course où vous avez mis une distance incroyable – et dès le premier jour – entre vous vos concurrentes.
Ragna Debats : D’abord je tiens à dire que je m’étais très bien préparé. J’avais travaillé spécifiquement pour ce MDS et dès la première étape, après avoir jaugé la concurrence et réalisé mon avance, j’ai tout de suite compris que je pouvais gagner. J’ai tout de suite cru en moi. Bon, bien sûr, ce n’est pas la course d’un jour mais au contraire un événement où tout peut arriver. Je le savais. Mais une de mes qualités, c’est d’être capable de rester concentrée sur mon objectif, de croire en moi, d’aller de l’avant, en serrant les dents, si besoin. À vrai dire, il s’est passé deux choses durant cette course-là. D’une part l’écart avec les concurrentes ne m’a pas vraiment surprise. D’autre part j’ai dû lutter contre des difficultés physiques inattendues sur place, et notamment un mal de dos qui a fini par impacter mon équilibre intestinal et aurait pu avoir des conséquences plus dramatiques.
VO2run :Oui on se souvient très bien de ce qui s’est passé, puisque nous étions sur place. Vous aviez donc souffert de votre dos dans la troisième étape. Cela vous a mis en difficulté pour la longue étape qui est si déterminante pourtant, même si vous aviez déjà acquis plus de deux heures d’avance sur vos deux plus proches poursuivantes, la Marocaine Aziza Raji et l’Anglaise Gemma Game, qui finissent respectivement 26ème et 33ème au général, ce qui est également une belle performance de leur part (la quatrième fille termine 72ème !). Durant cette longue étape, pas si longue que ça en réalité car elle ne faisait « que » 76,3 km, vous commencez alors à souffrir de l’estomac. C’est un peu le coup classique au Maroc malheureusement….
Ragna Debats : C’est important de bien comprendre quelque chose me concernant : je ne m’entraîne pas dans le vide. Je m’entraîne avec un objectif précis en tête. Je me prépare donc physiquement mais aussi mentalement pour un objectif en particulier. Généralement je me rends sur place avant la course, quelques semaines avant disons, afin d’avoir un premier aperçu du lieu, du climat, du terrain, afin de commencer à ressentir des choses, physiquement, mentalement. Là je ne l’avais pas fait. J’avais juste pu regarder des photos et des vidéos sur Internet. Mais près de chez moi en Espagne, j’ai trouvé un lit de rivière avec du sable, des pierres. C’était un endroit austère, dur, où je me suis donné, où j’ai pas mal souffert. J’habite un petit village qui s’appelle Matadepera. C’est pas très loin de Barcelone, un peu plus au nord. Quand je suis arrivée au Maroc et que la course s’est lancée, j’ai vite réalisé que le terrain de la course était en réalité plus facile que ce lit de rivière où je me suis entraînée des semaines durant.
VO2run :Et ce mal de dos alors… ?
Ragna Debats :Il est survenu pendant l’étape 3. À la fin, quand j’ai franchi la ligne, je n’étais pas bien du tout. J’avais eu tellement mal toute la matinée que ça m’avait rendu malade et je me sentais aussi très faible. J’ai changé de sac à dos car j’en avais emporté un plus petit avec moi en prévision, et j’ai démarré la longue étape également plus lentement que prévu. Du coup, j’ai terminé la course en perdant des places au classement mais….c’était d’une certaine manière seulement le classement homme donc ça allait quand même (rires !). Je suis juste sortie du top 10 masculin en fait. Vous savez, je me suis entraînée tous les jours juste pour cette course et c’est pourquoi j’ai cru à un moment pouvoir récupérer en une bonne nuit de sommeil. Mais je n’avais pas réalisé que les nuits dans le désert au Marathon des Sables sont difficiles et pas si réparatrices qu’une vraie nuit dans son lit. Après l’étape longue, il y avait encore l’étape marathon mais là, par contre, j’avais complètement récupéré et je me suis à nouveau senti très forte, très à l’aise et j’ai avancé à un très bon rythme tout du long. Ma forme était revenue, j’étais trop contente ! Plus j’avançais, plus je me sentais bien. C’était très enivrant, très jouissif ! À tel point que je n’en pouvais plus de sourire !
VO2run :OK donc si on comprend bien, vous avez perdu des places au classement pendant cette 3ème étape mais…c’était essentiellement le classement des hommes étant donné que vous dominiez totalement les débats chez les femmes. Et ça vous a rendu dingue. Vous aviez déjà fait des courses à étapes avant ?
Ragna Debats : Oui bien sûr. J’avais fait la Transalpine-Run en Allemagne, la Pyrénées Stage Run en Espagne, le Coastal Challenge au Costa Rica et la Pierra Menta en France. En revanche c’était la première fois que je m’entraînais spécialement pour une course à étapes. Généralement je les incorpore un peu comme ça dans un planning déjà chargé, sans ambition particulière.
VO2run :On sait que votre amoureux Pere Aurell, un coureur espagnol qui a notamment et récemment gagné la Migu Run Skyrunner World Series® à Madeire au Portugal, ainsi que votre fille, Onna, étaient à Chamonix avec vous pour vous encourager sur le parcours. Ça vous fait bien avancer on suppose de les voir sur vos courses, non ?
Ragna Debats: Bien entendu c’est essentiel. Le lendemain de la CCC®, Onna a d’ailleurs eu 5 ans. Cette course et cette victoire avait dès lors une saveur particulière. Nous sommes une famille et nous essayons toujours de voyager ensemble. Pere était lui engagé sur la TDS® mais il a dû arrêter la course. Il a donc réussi à être sur le parcours, avec aussi mon coach et mon physiothérapeute. À eux trois, ils ont fait autant que possible mon assistance. Les règles dans ce domaine sont strictes et ils les ont suivies. Mais ça c’est bien déroulé et j’ai pu voir ma fille plein de fois. À chaque fois qu’elle me voyait approcher elle criait « mama mama mama… ». Inévitablement, cela me donnait une force incroyable.
VO2run : Le parcours de la CCC®, contrairement à celui du Marathon Des Sables, vous l’aviez repéré alors ?
Ragna Debats :Trois semaines avant l’évènement j’ai couru sur le premier col, passant par la Tête de la tronche et le refuge Bertone en aller-retour. J’ai aussi couru toute la descente de La Flégère à Chamonix, c’est à dire environ 9 km. Mais à part ça, non, je ne connaissais pas du tout la course. Bon, après j’étais déjà venu sur l’UTMB® pour voir et encourager des amis. Mais c’est pas la même chose…
Recueilli par Gaël Couturier
L’INTEGRALITE DE L’INTERVIEW A RETROUVER DANS VO2 RUN 260 DISPONIBLE ICI