Christelle Daunay & Liv Westphal – La course en héritage
De marathon pour la première en 2014, et sur 5000 m en espoirs pour la seconde en 2015, les deux athlètes ont toutes été championnes d’Europe. Lors de leur dernière sélection internationale commune, elles ont été vice-championnes d’Europe par équipes de cross-country à Hyères en 2015. Elles avaient 41 ans et 22 ans. Depuis, elles s’étaient juste croisées. Depuis, Christelle a pris sa retraite internationale et elle est devenue maman. Liv, elle, enchaîne les performances en cross, sur la route et elle est considérée comme son héritière. Des champs de cross à la course sur route, en passant par les tours de piste, elles sont animées par la même passion : courir. Alors que la première question n’a pas encore été posée, les deux athlètes papotent comme des copines de 20 ans, à l’occasion du dernier cross Ouest France…
Recueilli par Bruno Poirier – Photo Joël Le Gall
Liv : « Le Cross Ouest-France est le premier cross national où j’ai fait une bonne perf. J’étais cadette et j’avais gagné (2010). C’était une sacrée histoire… Je devais courir un 3000 m, le samedi à Bordeaux, et il avait été annulé. Mon entraîneur de l’époque, Kahlal Hadj, m’a dit : « Il faut que l’on aille au Mans ! » Et nous étions partis à 16 h pour arriver à 1 h du matin, le jour de la course… » (Rires).
Christelle : « Le Cross Ouest-France était déjà le plus grand cross en France. J’y courais déjà en scolaire. On me dit que je l’ai gagné une fois, en espoirs, mais c’est différent par rapport à Liv, car tu es dans la masse… »
Christelle, Liv, vous êtes dans les souvenirs, alors que vos carrières sont diamétralement opposées. Qu’est-ce cela vous inspire ?
Christelle : « Elle débute et moi, j’ai terminé, et je passe la main à Liv, avec grand plaisir. Elle a bien fini l’année 2019 avec ce record de France du 10 km à Houilles (31’15).
C’est vrai que c’est une belle progression. Peut-on aussi parler des chaussures…
Liv lève les yeux au ciel… « Oh là, encore… Cela fait des semaines que ça dure. Il y a un amorti exceptionnel, et c’est important pour la santé. Un sujet que l’on écarte du débat. Maintenant, je ne sais pas dire combien de secondes l’on gagne au kilomètre, car je n’ai aucun savoir scientifique. Mais ce que je sais, c’est qu’aux Europe de cross (cinquième), j’ai battu des filles qui font 31’30 au 10 km en pointes ! Mon 31’15 ne tombe pas forcément du ciel. Et à Houilles, même si j’avais une très bonne paire de chaussures, c’est évident, toutes les conditions étaient réunies pour faire un chrono : le parcours, la densité, la météo et les jambes étaient là… »
Christelle : « Liv avait aussi tous les acquis de sa préparation cross. Il faut aussi se rappeler de son chrono à la Coupe d’Europe à Londres sur 10000 m (3e en 32’02’’38), les conditions de course ne lui permettant de montrer sa véritable valeur, ce jour-là, et elle était partie trop vite… La piste, c’est terrible. C’est le chronomètre avec les tours qui passent, le juge de paix pour un athlète. À Houilles, tout était aligné pour la performance. »
Christelle, vous parlez de Liv, comme un coach. Vous êtes l’entraîneur de Floriane Chevalier Garenne, Vincianne Cussot et Fadouwa Ledhem. C’est un choix d’entraîner, seulement, des femmes ?
Christelle : « Que ce soit par des femmes ou des hommes, je suis sollicitée. Mais Vincianne, Floriane et Fadouwa ont été premières à me demander de les conseiller et de les accompagner. Pour l’instant, trois athlètes, c’est déjà un bon groupe et je ne peux pas faire plus, actuellement. Donc, je me consacre essentiellement à elles. Si les premières sollicitations avaient été masculines, j’aurais fait exactement la même chose ».
Christelle, vous aimeriez entraîner Liv, un jour…
Christelle : « Une athlète de son niveau, bien sûr… Mais elle a déjà son équipe, un groupe d’entraînement à Valence, en Espagne, et un très bon entraîneur (Antonio Montoya). Elle est stabilisée en faisant des bons choix, elle a donc tout pour réussir ».
Liv : « Mais il y a quelqu’un, en particulier, que j’ai appelé quatre jours avant la Coupe d’Europe du 10000 m pour avoir des conseils et c’est Christelle. Pour moi, il n’y avait personne de mieux placé pour appréhender la distance. […] Je me rappelle de la première fois où j’ai vu Christelle. J’étais espoirs et de voir une athlète de ce calibre, j’étais émue. C’était à Hyères, aux Europe de cross (2015). Et j’étais là et je la regardais avec des grands yeux en me disant : « Wouah, Christelle Daunay ! » Elle était championne d’Europe et recordwoman de France de marathon. Pour moi, Christelle est un exemple.
Christelle, Liv aspire à devenir marathonienne. De votre côté, vous avez pour projet de refaire un marathon. Peut-on vous imaginer, un jour, au départ de la même course…
Christelle : « Pourquoi pas. Sur marathon, excepté en grand championnat, on a la chance que les professionnels et les amateurs puissent être sur la même ligne de départ. Je me vois bien, aussi, être sur le bord de la route et encourager Liv, par exemple lors des Jeux olympiques à Paris en 2024 (rires de Christelle et sourire de Liv). Car refaire un marathon, ce n’est pas si simple que cela. Ma vie a changé. Je suis devenue mère. Pendant ma grossesse, j’avais fait le choix de ne pas courir, car je n’avais pas vraiment d’objectif pour revenir à la compétition. J’ai repris à courir, mais j’avoue que j’ai d’autres priorités et d’autres centres d’intérêts. Il va donc me falloir un peu plus de temps que prévu pour repenser à un marathon, mais j’ai envie de refaire de la compétition, de me faire plaisir. Lorsque l’on a été une compétitrice, on aime les challenges ».
Liv, avez-vous déjà fait votre choix pour débuter sur marathon ?
Liv : « J’ai déjà beaucoup de marathons en tête ! Boston où j’ai vécu. Ce n’est pas le plus facile, donc, ce ne sera pas celui de mon entrée en matière. Valence, évidemment, où je m’entraîne. Paris… Je pense que si les Jeux de Tokyo avaient lieu en 2021, je me serais fixé un objectif marathon, dès septembre 2018. A l’époque, j’en avais un peu marre de la piste. Je n’avais pas fait une bonne saison et je venais de commencer à m’entraîner avec Antonio. C’était l’occasion de partir sur un nouveau cycle, mais on s’est rendu compte qu’il ne fallait pas brûler les étapes et rester sur la piste. Si cela se passe bien sur 10000 m, cette saison, je compte persévérer sur la distance. Par contre, je n’arrêterai pas ma carrière de haut niveau sans avoir fait un marathon. Pour moi, c’est impensable ».
Christelle : « Lorsque Liv montera sur marathon, elle peut très bien continuer à faire du 10000 m. Dans une préparation, c’est une association qu’il ne faut pas bannir. C’est ce que j’ai fait durant ma carrière. Mentalement, c’est important d’évoluer. Que l’on soit sur la piste ou la route, il ne faut pas se mettre dans une case. Avec Liv, on parle de niveau mondial, 10000 m et marathon, c’est du fond. Il faut alterner entre les deux, même si le niveau des performances, suivant les objectifs, les chronos ne sont pas les mêmes lorsque l’on fait du haut niveau. »
L’intégralité de l’interview à retrouver dans VO2 RUN 261, disponible ICI