Pourquoi certains traileurs font-ils du cross l’hiver ?
Bon nombre de traileurs ont pris part aux départementaux et aux régionaux de cross en janvier. Pour quelles raisons ? En quoi le cross est-il bénéfique pour la saison de trail ? Plusieurs témoins nous éclairent sur le sujet.
«La saison de trail ne s’arrête jamais» souligne Julien Rancon. En effet, les trails sur neige prennent la relève l’hiver après la saison classique. Néanmoins, pléthores de traileurs patentés préfèrent disputer quelques cross durant la période un peu plus creuse s’étalant de novembre à février, à l’image des régionaux de cross.
Certains loin des premières places (Stéphanie Duc 19e en Rhône-Alpes, Nicolas Martin 25e toujours en Rhône-Alpes), d’autres avec plus de réussite (Aurélia Truel 2e en Île-de-France zone est, Sébastien Spehler vainqueur en Alsace, Julien Rancon 5e d’un régional de Rhône-Alpes très relevé, Benoît Holzerny 7e en Pays-de-la-Loire ou encore Thibaut Baronian, 2e en Franche-Comté), même si tous ces résultats doivent être pondérés par le niveau respectif des régions. Le cross semble un passage quasi incontournable pour la majorité des traileurs. Voici pourquoi.
(Re) développer la VMA et courir à de fortes intensités
«J’y trouve des qualités de vitesse, même si je n’aime pas trop dire ça car la vitesse, c’est encore des allures plus rapides. Ce sont des qualités de VMA (vitesse maximale aérobie) et d’endurance à des intensités bien au-dessus du seuil que l’on développe» explique Julien Rancon, coach notamment de Sébastien Spehler (photo ci-dessous). «Je ne le propose pas systématiquement à mes athlètes. Ça dépend de leurs caractéristiques. Ça dépend de ce qu’ils vont faire dans l’année, de leurs qualités. Dans une grande majorité des cas, même s’ils ne font pas de cross, il y a forcément une partie de la saison où l’entraînement est orienté vers le développement des qualités que nécessitent le cross ou le 10 km» poursuit Julien Rancon, sans doute le traileur le plus complet, capable de briller sur tous les formats de course, et qui disputera intégralement la saison de cross, avec aussi au programme de l’hiver les 10 kilomètres de Cannes le 23 février.
Ses propos rappellent ceux de Patrick Bringer, qui indiquait faire durant l’hiver une prépa type cross, sans pour autant disputer de cross durant la saison des labours. Alors que Michel Lanne, coaché par Christophe Malardé, fait aussi une préparation typée cross, sans pour autant «la valider en compétition». Après une semaine de récupération (natation et vélo), Benjamin Choquert s’est préparé pour la Prom’Classic de Nice le 4 janvier, un de ses premiers objectifs de sa saison.
«Il fallait que je fasse moins de 30’ pour me qualifier pour les championnats du Monde de duathlon (30 mai et 1er juin) car c’est un des critères de sélection» précise t-il. En 29’47’’, il a pleinement réussi son pari et battu son record de 22 secondes, neuf semaines après les Templiers (il avait auparavant couru en 30’’18 le 1er décembre à Nancy). «Je n’ai pas eu de problèmes sur le spé 10 km. C’est revenu assez bien en alternant avec la muscu. J’ai des qualités de vitesse à la base» confie celui qui a déjà couru en 3’49’’42 sur 1500 m (2009) et 8’49’’44 sur steeple (2011).
Sélectionné l’an dernier aux championnats d’Europe de courses en montagne (38e), Benjamin Choquert ambitionne de «se rapprocher du podium» aux Mondiaux de duathlon. Et dans cette optique, il intègre comme tous les ans les cross à sa préparation. «Ça fait un foncier et un bon travail spécifique». Le Nancéen retentera ensuite sa chance aux Templiers. «Même si j’ai vécu un peu l’enfer lors de ma première participation, c’est tellement sympa que j’ai envie de faire mieux ».
«Les premières séances de VMA, quand on met des 400 ou des 500, ça pique un peu»
«Il y a forcément une baisse en partie de la VMA car on est un peu diesel, même si je fais des entretiens réguliers durant l’année à tous mes athlètes, avec par exemple des 30-30’’ ou des 1-1’» indique Christophe Malardé, qui poursuit. «Mais surtout, on n’a plus l’habitude de faire des efforts soutenus, pas forcément de la VMA en soi, mais de courir sur des allures de course entre 85 et 90 % de la VMA. Il y peu de courses et d’entraînements dans la saison dans ces registres là. Les premières séances de VMA, quand on met des 400 ou des 500, ça pique un peu. C’est souvent dur, car ça vient après une coupure de 15 jours à 3 trois semaines. Ça revient cependant assez vite. Pour une reprise mi-novembre, on est opérationnel en janvier».*
Le spécifique trail en hiver?
Concernant ce point, les avis sont divergents selon les objectifs et la programmation de chacun. Sébastien Spehler n’a pas touché au spécifique trail depuis sa reprise de l’entraînement fin novembre.«Jusqu’ici, on n’a fait que de la VMA, des intensités ou de la capacité aérobie lactique en côte (sur des distances très courtes)» relate son coach Julien Rancon.
Après les régionaux d’Alsace, Sébastien Spehler a attaqué le spé trail, avec en point de mire le Ventoux (16 mars). Pour lui, les cross sont finis. Tout comme pour Thibaut Baronian. A la reprise en novembre, il a regoûté au tartan. «Je les remets sur la piste pour les reconfronter à la réalité du temps, de la vitesse pour faire un travail de pied. On commence par du fractionné court, sur des 200 ou des 300 m. Puis on monte progressivement vers des 1000 m. On fait un peu de spécifique cross (comme des 3×8’ ou des 4×7’) mais pas non plus à outrance car le trail arrive ensuite. Il y a une dizaine de jours, j’ai fait faire à Thibaut 6 x 1000 m. Il ne l’avait jamais fait avant, alors que c’est un grand classique pour les athlètes. Ça lui faisait un peu peur. Mais il a réussi la séance, en les tournant en 2’57-2’58. Ça remet des valeurs chronométriques à son potentiel physique. Un traileur connaît sa valeur, mais elle ne se mesure pas sur un temps, comme sur 10 km ou sur un semi» décrypte Christophe Malardé.
Désormais et à l’image de Sébastien Spehler, Thibaut Baronian entame en ce début février le spécifique trail, c’est-à-dire «du travail d’endurance, de vitesse ascensionnelle, du spécifique renforcement pour le trail. Avec Thibaut, on s’est attachés à faire un gros travail de VMA. Il a fini sa saison de cross car le Ventoux arrive. Il faudra s’enquiller 4 heures de course. Il faut donc changer à partir de maintenant d’orientation. Il fera une course de 23 bornes mi-février pour reprendre contact avec des distances et des temps de courses un peu plus longs en vue du Ventoux, pour ne pas passer de 30’ d’effort à 4 heures. Si on fait une rentrée précoce en trail sur les gros évènements, le travail que l’on peut développer pour le cross est terminé pour le traileur aux environs de fin janvier» résume Christophe Malardé.
La vice-championne du Monde de trail en juillet dernier et la 2e des Templiers en octobre Aurélia Truel, poussera jusqu’aux championnats de France de cross (62e sur le long en 2013). Son premier objectif en trail se situe en effet plus tard dans la saison, à savoir la Transvulcania (10 mai). « Je ne prépare d’habitude que les cross l’hiver. Mais étant donné que la Transvulcania fait 83 kilomètres, j’effectue une sortie longue de 2 heures avec du dénivelé par semaine » signale t-elle.
Puissance et renforcement musculaires
Julien Saby allie de son côté travail de VMA et sorties longues. « Même en préparant les cross, je continue à faire des sorties longues types trail avec du dénivelé, car je ne veux pas perdre les acquis dont j’ai pu bénéficier en 2013. Je ne fais pas non plus des sorties de 3 heures car ce n’est pas le moment, mais je reste au moins une fois par semaine entre 1h30 et 2 heures avec du dénivelé. Sur certains footings d’entretien, entre les séances de VMA, je fais entre 300 et 400 mètres de dénivelé sur 15 kilomètres » raconte t-il. Venu au trail l’an passé, le sociétaire de l’Athlétisme Metz Métropole n’a pas encore apprivoisé ces longues distances. « Ma lacune, et cela a été flagrant pendant la 6000 D, c’est la durée d’effort. Je n’étais pas préparé pour enchaîner 5 à 6 heures d’effort. Et ensuite, j’ai constaté un manque de puissance ».
C’est l’un des avantages du cross. 10 à 12 kilomètres au taquet (un peu moins pour les femmes), dans la boue, dans les côtes, avec les relances, ça renforce… Les traileurs peuvent ainsi travailler ces qualités là, et plus le terrain en cross est difficile, plus ils y brillent. « Je ne vois pas comment je peux faire mieux, quand tu as Hassan Chahdi et Mounir Hsain devant. Je pense que j’ai exploité ce que je pouvais faire. Il y avait beaucoup de boue. Ça ralentit la course et ça nivelle un peu, lorsqu’il n’y a pas d’appuis » dit Julien Rancon à propos de sa 5e place aux régionaux.
« Se confronter à la réalité athlétique française »
« Musculairement, on a plus de puissance et de résistance. C’est vraiment ça le bénéfice du trail sur des épreuves rapides comme le cross ou les 10 km. Dès qu’il y a des bosses ou des relances, lorsque le terrain est difficile, on est avantagés en tant que traileur car on a des appuis renforcés. On a un pied beaucoup plus puissant car on le travaille très souvent sur des chemins instables etc…Pour moi, le trail est la discipline la plus complète. On a besoin de qualités de VMA, de puissance, de technicité de course pour s’adapter au terrain (montées, descentes, racines, cailloux). Mon point faible en cross quand j’étais dans les jeunes catégories, c’était quand il y avait de la boue. Je flanchais rapidement par rapport à ceux qui étaient plus puissants. Le trail m’a fait passer un gros cap » assène Julien Saby.
Sous la férule de Julien Rancon, Sébastien Spehler a commencé à s’atteler cet hiver à des séances de renforcement musculaire. « Ce travail là a un double intérêt : à la fois musculaire et sur la qualité des appuis, sur qualité de la foulée » indique le coach.
Le mental
Nicolas Martin, 158e des France de cross en 2013, tempère quelque peu l’apport du cross. « Je ne suis pas sûr que le cross soit la discipline qui apporte le plus pour le trail. J’étais sorti de l’hiver fatigué l’an dernier, car c’est exigeant physiquement. Mais le cross, ça reste toujours une telle école de l’humilité ». Indéniablement, le cross fait bosser “la tronche“.
Dans le même état d’esprit, Christophe Malardé préconise le cross pour la raison suivante : « L’un des intérêts est de se confronter à la réalité athlétique française. Tout bon traileur que l’on est, c’est bien d’aller voir aussi ce qui se fait ailleurs. Il y a des coureurs qui vont très vite en athlé et c’est bien de se confronter à une bonne densité ».
Julien Rancon abonde : «Je crois qu’il y a un aspect mental qui est plus important que sur la piste et sur la route. Il faut galérer avec les autres et avec les éléments». Julien Sapy, néophyte en trail, a quant à lui modifié sa perception de la course. «Je l’ai vu à Nice sur le 10 km. Avant, quand je passais au 6e ou au 7e km, j’avais du mal au niveau de la résistance. Maintenant, quand je vois qu’il me reste 3 km, je me dis ce n’est pas beaucoup, alors que je suis autant dans le dur qu’avant».
Le mot de la fin revient à Aurélia Truel, thuriféraire des labours. «Qui dit cross en hiver dit mauvaises conditions, avec la boue, la pluie. Ça reste assez dur et il faut un gros mental. Le long chez les femmes, c’est 7 kilomètres. C’est 7 kilomètres à fond! Et il faut prendre en compte toute la préparation à côté, comme la PPG, le travail en côte etc…Tous les traileurs devraient faire du cross. Ça aide et ça renforce vraiment».