Yoann Kowal – « Etre à la fois focus et détendu »
Le spécialiste du 3 000 m steeple a crevé l’écran durant la saison hivernale en battant à deux prises son record du 10 km (28’54 en décembre puis 28’42 dimanche dernier à Moirans) et en prenant aussi une inattendue troisième place aux championnats de France de cross-country. Des résultats qui sont selon lui « enfin à la hauteur » de ce qu’il peut produire aux entraînements. Entretien.
Un mot pour qualifier votre hiver ?
« Maturité. C’est le mot le plus fort qui me vient à l’esprit. J’ai pris conscience avec l’expérience de mes dix années de haut niveau senior que ça ne servait à rien de vouloir être le champion de l’entraînement.
Le plus important, c’est d’être performant en compétition. On met longtemps avant de le comprendre. On veut toujours donner plus aux séances, prouver des choses par rapport aux autres alors qu’il n’y en a pas besoin. Ma façon d’aborder les courses a changé aussi.
Ces résultats confortent votre décision prise de monter cette saison à Paris pour vous entraîner ?
C’est clair que ça valide ce choix. Ça fait plaisir, évidemment, à mon coach Patrick Petitbreuil que je ne lâche pas. Je repars, d’ailleurs, en juin en Dordogne. Ce que j’aime bien, là, à l’INSEP avec le groupe de Philippe Dupont, c’est qu’on se tire tous vers le haut à chaque séance sans que ce soit pour autant la guerre entre nous. Il y a un bon esprit de cohabitation. Je me concentre surtout davantage sur mes sensations désormais. Sur les séances de côtes, je prends tout le temps des toises par les jeunes. Trois secondes sur des 300 m. Mais si c’est qui peut me permettre d’être champion d’Europe cet été à Berlin, ça ne me dérange pas d’être à chaque fois dernier. Je l’accepte.
Cela a été une petite surprise de vous voir terminer sur le podium des championnats de France de cross-country, à Plouay (Bretagne). On imagine que pour vous aussi ?
Personnellement, je ne voulais pas spécialement les faire. J’ai toujours été contre-productif en cross. J’y suis surtout allé pour faire plaisir à mon coach (rires). Et en même temps, quand j’ai vu toute cette boue en repérant le parcours, j’avais envie de courir. Ça faisait un peu cross à l’ancienne. Je pense avoir surpris beaucoup de monde, moi le premier. C’est bizarre. Je ne sais pas trop comment l’expliquer. J’y suis allé sans pression, en me disant que je n’avais rien à perdre. C’est peut-être pour ça que ça a bien marché.
Racontez-nous un peu ce dix bornes à Moirans où vous battez votre record en 28’42…
J’ai abordé cette course complètement différemment. Il y avait très peu de stress avant le départ. J’y suis vraiment allé avec l’envie de me faire plaisir. On passe 14’17 au 5 000. A ce moment-là, je suis dans une bonne aisance de course. Quand le lièvre s’est arrêté au cinquième, Hassan (Chahdi) s’est mis devant puis j’ai relancé après le sixième car je me sentais bien. Le but en venant là, c’était de faire un chrono donc j’ai tenté. J’ai bien fait. Ce chrono vient valider le travail foncier. Il a manqué une petite rivalité sur la fin de course pour pouvoir courir en 28’30.
La route, c’est quelque chose vers laquelle vous envisagez de vous tourner après votre carrière sur 3 000 m steeple ?
Je passerai sur route après les Jeux de Tokyo avec comme objectif d’être à Paris en 2024 sur marathon. C’est un plan de carrière que j’ai en tête depuis 2016. A ce moment-là, je m’étais posé la question si je continuais ou non le steeple. Ce que j’ai choisi de faire car je n’ai pas la sensation d’avoir encore réussi à exploiter tout mon potentiel. Et je crois très sincèrement qu’une médaille olympique est possible. Je me donne en tout cas tous les moyens pour y arriver. On verra dans deux ans. Et après, l’idée, ça serait effectivement de faire un marathon par an jusqu’à Paris. Deux pour se tester sur la distance et le troisième pour réaliser un chrono. Je me donne de grosses ambitions comme doit le faire un athlète de haut niveau. Comme Ghani Yalouz (NDLR : l’ancien directeur technique national) aimait bien le répéter : « il faut toujours viser la lune car, au pire, on atterrit dans les étoiles. »
Votre état d’esprit est-il différent sur piste que sur route ou en cross ?
Ce n’est pas pareil, ce n’est pas la même ambiance. Au steeple, je suis dans ma bulle, je ne parle à personne. Mais j’ai envie, cet été ; d’essayer d’aborder mes courses dans le même état d’esprit que cet hiver, d’être à la fois focus et détendu.
Place maintenant au 3 000 m steeple, aux choses sérieuses on a envie de dire…
C’est exactement ça. Là, j’ai eu le droit à une petite semaine de coupure mais on s’y remet dès lundi pour attaquer la préparation estivale. Ça me démange de remettre les pointes pour faire des séances spé, de passer à nouveau des barrières, etc. Je vais partir en stage du 13 avril au 21 mai aux Etats-Unis avec un jeune du club et mon coach.
Le calendrier est-il déjà défini ?
Je ferai ma rentrée sur steeple le 1er juin au meeting de Montbéliard. Après, le reste n’a pas encore été défini. L’objectif sera d’arriver à son pic de forme pour les championnats d’Europe, à Berlin, au mois d’août. Je vise une médaille et un record personnel. Comme c’était le cas sur 10 km avec cette barrière des 29 minutes, ça fait deux ou trois ans que je bute sur celle des 8’10 au steeple. Je l’avais dans les jambes la saison dernière, au moment des Mondiaux. Mais bon, j’ai pris une barrière…
On imagine qu’il a fallu du temps pour digérer cette finale à Londres…
J’essaye d’en rigoler aujourd’hui mais ça restera une déception. J’avais eu de superbes sensations lors de la demi-finale où j’avais couru 8’21 en étant totalement relâché. Pour l’anecdote, au moment où je tombe, il était prévu que je tente un truc à la rivière suivante, de placer une attaque. C’est frustrant car je n’ai pas pu m’exprimer ce jour-là alors que j’étais au top de ma forme. Et quand je vois le chrono du troisième, ça laisse encore plus de regrets.
On sent en tout cas chez vous un homme passionné…
J’ai la chance de vivre de ma passion, c’est le kiff. Je ne roule pas sur l’or comme les footballeurs mais je prends énormément de plaisir à m’entraîner. Cet hiver, il y a peut-être trois séances au maximum où j’y suis allé à contre-cœur car c’était sous la pluie. Mais sinon c’est tout. J’aime ce que je fais. »
Propos recueillis par Basile REGOLI