Renaud Lavillenie, un an après son record du monde  

Il y a tout juste un an, Renaud Lavillenie battait le record du monde du saut à la perche (6,16 m) à Donetsk. Il y a eu un avant et un après 15 février 2014. Il le raconte…

Renaud, votre record du monde a un an. C’est du second degré, mais êtes-vous étonné qu’il ne soit pas encore battu ?

 

Sourire de Renaud… Euh… non. Il n’y a pas d’étonnement, tout simplement parce que cela a pris 21 ans pour que le précédent soit battu. Cela aurait été surprenant qu’il soit amélioré tous les mois.

 

En posant cette première question sur l’amélioration du record du monde, je pensais à vous…

 

Oui, mais non, étant donné que la saison estivale en 2014 a été catastrophique au niveau des conditions, c’était donc déjà compliqué. Et puis, la priorité a été pour moi de pouvoir rééduquer mon pied après ma blessure juste après mes 6,16 m (Renaud avait tenté une barre à 6,21 m à Donetsk, ndlr), afin de pouvoir défendre mes chances aux championnats d’Europe. L’objectif prioritaire n’était pas de battre le record du monde. Il n’y a donc pas eu de surprise.

 

Votre saut en Ukraine s’est construit avec le temps. Comme un monument. Le Palais des Sports Droujba de Donetsk en est un et il a été brûlé en mai dernier. Ce lieu est lié à votre record du monde. Comment avait vécu ce moment ?

 

Il m’arrive encore d’y penser… Surtout lorsqu’aux informations, on parle de l’Ukraine et du conflit actuel. C’est quelque chose qui est assez fort, mais dans le mauvais sens, malheureusement. Pour la salle, c’est d’autant plus dommage car le sport est censé véhiculer des valeurs positives et qui sont à l’opposé avec ce qui se passe actuellement dans ce pays.

 

Il y a eu un avant et un après, 15 février 2014. Quelles sont les choses qui ont changé pour vous ?

 

Concrètement, au niveau personnel, je suis toujours le même et j’ai la même envie et la même passion pour ce que je fais. D’un point de vue sportif, je suis toujours autant impliqué dans ma discipline. Sur le côté économique et au niveau des sponsors, il y a des personnes qui s’intéressent, mais rien n’a été formalisé. J’ai toujours mes trois partenaires qui sont Nike, Michelin et Apurna. Par contre, les changements sont notables d’un point de vue extra-sportif. J’ai beaucoup de sollicitations pendant et hors les compétitions. Cela nécessite une maîtrise du temps qui est bien plus optimisée afin d’être en mesure de pouvoir garder le cap sur la préparation et l’entraînement qui sont mes priorités.

 

Ce qui a aussi changé, c’est qu’avant, lorsque l’on parlait d’athlétisme au grand public, on pensait sprint et Bolt. Maintenant, c’est aussi perche et Lavillenie. C’est une belle reconnaissance ?

 

C’est un plaisir de voir cette reconnaissance pour ma discipline et par rapport à mes performances. C’est aussi important de pouvoir montrer que l’athlétisme ne se résume pas à un seul athlète, au sprint ou au demi-fond. C’est une belle réussite de voir que la perche est mise à l’honneur depuis ce moment-là. Maintenant, cet intérêt est d’autant plus dur à conserver, car il faut continuer à maintenir cette discipline au plus haut niveau.

 

Il y a vraiment un « effet Lavillenie » sur l’athlétisme en France. Et sur la perche en particulier. On l’a vu avec le direct à la télévision du Perche Élite Tours à Nevers. C’est également une notoriété nouvelle pour votre sport.

 

C’est important d’avoir la considération des médias, car ce sont eux qui font un peu la pluie et le beau temps dans tout et donc dans le sport. Ils peuvent avoir de l’influence sur l’opinion des personnes. C’est donc bien d’avoir aussi à la télévision autre chose que les sports collectifs ou des pratiques individuelles plus médiatiques, comme le tennis. À Nevers, on eu a la chance d’avoir pleins feux sur une seule discipline de l’athlétisme. C’est d’autant plus plaisant, car il y a eu une véritable réussite sur cette édition et qui était un vrai défi et laisse sous-entendre une réédition de cette retransmission.

« En finale, tous les perchistes sont des adversaires potentiels »

 

Vous n’êtes plus seulement un sportif de haut niveau. Vous êtes aussi un ambassadeur de votre sport. Comment faites-vous pour tout concilier ?

 

J’essaie d’allier toutes les forces pour profiter de cet engouement pour développer la discipline au sein de la Fédération, et de la promouvoir auprès du sport en général. Mais la priorité reste de sauter, parce que j’aime ça.

 

Actuellement, vous n’avez pas d’adversaire à votre hauteur, à plus de 6 m. Le Canadien Barber est à 5,88 m et l’Américain Kendricks à 5,86 m. C’est cette quête du record du monde qui vous pousse à aller plus haut…

 

Déjà, il faut savoir que ce qui m’a poussé à sauter, ce n’était pas pour battre le record du monde, c’était d’abord la quête du plaisir que je pouvais avoir à faire du saut à la perche. Et depuis que je fais du haut niveau, c’est-à-dire 2009, la première motivation est d’être le plus régulier possible pour aller chercher le maximum de médailles dans les grands championnats. Jusqu’à présent, je m’en suis très bien sorti, car j’étais très bien préparé. Même si le titre mondial m’a toujours échappé, j’ai toujours été en mesure de défendre mes chances pour être le plus près possible de cette médaille d’or. Maintenant, ma philosophie de sauter pour le plaisir n’a toujours pas changé. Même si pour 2015, l’objectif est d’aller un premier titre mondial. Et pour 2016, un second sacre olympique.

 

Quels seront vos adversaires pour la saison estivale ?

 

Tous les perchistes qui sont au moins à 5,80 m sont des adversaires. Les championnats du monde, c’est une compétition d’un jour et cela peut tourner en ma faveur, ou ma défaveur, sur un saut. Il suffit d’un rien pour que tout se passe bien pour un adversaire et un petit couac pour moi. En finale, tous les perchistes sont des adversaires potentiels, même s’il y a une marge différente en fonction des niveaux.

 

5,80 m, c’est justement la barre que votre frère Valentin a franchi à Nevers. Dans la joie partagée, vous ne faisiez plus qu’un sur le tapis. C’est l’esprit de la perche ou celui de famille qui prévalait à ce moment-là ?

 

C’est l’esprit de famille. Le fait de pouvoir partager un moment extraordinaire avec Valentin. Et puis, surtout, assister en direct à une certaine concrétisation de son travail, après les erreurs qu’il a faites, il y a quelques mois…

 

Avec votre 6,02 m à Berlin, vous êtes premier au bilan mondial, cet hiver. Cela vous fait quoi de lire qu’avec 5,80 m, Valentin est deuxième en France, troisième en Europe et quatrième mondial ?

 

C’est prestigieux de voir cela. Après, les bilans, c’est une chose et les résultats en compétition en sont une autre. Pour nous, le plus important, c’est d’être présent dans les grands championnats et donc, de se qualifier pour la finale des Europe en salle (5 au 8 mars à Prague, ndlr). La saison est donc loin d’être finie…

« Si jamais Paris 2024 est candidat et qu’il est choisi, c’est quelque chose qui est envisageable »

 

Valentin et vous avez le même entraîneur, Philippe D’Encausse. La méthode, c’est la vôtre, la sienne, un mixte entre votre philosophie, vos qualités et son expérience ?

 

Il n’y a pas de recette miracle. C’est surtout du travail à l’entraînement en sachant pourquoi on fait chaque exercice et ce qu’il nous apporte. Il y a aussi une émulation et des qualités qui sont là. C’est donc un ensemble. Avec Philippe, cela se passe très bien dans l’approche de la compétition et dans sa gestion, du début jusqu’à la fin. Cela porte ses fruits, car on est aussi tous capables de se remettre en question pour aller de l’avant dans le but de progresser. Quand cela fonctionne comme cela, c’est aussi un vrai plaisir.

 

Les Mondiaux 2015 de Pékin sont donc cochés, pour le seul titre qui vous manque. L’an passé, vous espériez faire 6,10 m en plein air. Quelle sera la priorité, cet été ?

 

Le choix est fait. Dans ma préparation, c’est le titre qui a été choisi. Mais ce n’est pas pour autant que je vais me contenter de sauter 5,80. Ce n’est pas ma façon de faire. Pour être champion du monde, il faut aussi le plus régulier possible à des hauteurs les plus élevées. Je peux prendre en exemple le bilan actuel de ma saison hivernale. Elle n’est pas encore achevée, mais elle est très bien partie (deux sauts à 6,01 m, un troisième à 6,02 m notamment ndlr). C’est exactement la démonstration de mes envies et de la volonté d’aller le plus haut possible en m’adaptant aux conditions de chaque événement.

 

Les Jeux de Rio en 2016, ceux de Tokyo en 2020, Paris pourrait poser sa candidature pour les JO de 2024. Envisagez-vous de sauter jusque-là ?

 

Si jamais Paris 2024 est candidat et est choisi, c’est quelque chose qui est envisageable. Mais, c’est déjà très très loin… On attend déjà de voir commence avance le projet et s’il va aboutir. Après, entre le dépôt de la candidature et la décision finale, il y a beaucoup d’années qui vont s’écouler. La priorité, c’est donc 2016 et la prochaine olympiade.

 

 Est-ce vous aimeriez vous investir dans cette candidature parisienne ?

 

J’ai déjà été plus ou moins impliqué sur le début de la mise en place des idées par rapport au projet. Maintenant, c’est un mouvement qui est universel et tout le monde a son rôle à jouer. La plupart des sportifs sont enthousiastes à l’idée de voir Paris accueillir les Jeux, mais c’est aussi un projet qui nous dépasse, car il va au-delà du sport.

 

Vous êtes proche de Sergueï Bubka. Envisagez-vous de soutenir sa candidature pour l’élection à la présidence de l’IAAF face à Sebastian Coe ?

 

J’ai un avis plus ou moins partagé, car les deux me plaisent beaucoup. Evidemment, il peut y avoir un petit penchant pour Sergueï, car on est de la même famille, celle du saut à la perche. Maintenant, que je le soutienne ou pas, cela ne changera rien, puisque je n’ai aucun pouvoir décisionnel par rapport à ça. Je sais que Sergueï fait son travail plutôt de belle manière, donc on verra cela dans sept mois, au moment de l’élection.

 

Propos recueillis par Bruno Poirier.