Pourquoi ils et elles font du 10 000 mètres
Plutôt que de lister les sempiternelles raisons de cette désaffectation pour cette épreuve (voir à ce propos le tableau récapitulatif ci-dessous), nous avons choisi de donner la parole à ceux qui s’alignent sur 10 000 mètres. Avec en filigrane cette même question, volontairement un tantinet frivole, mais pas tant que ça finalement : « pourquoi courir sur 10 000 m ? ». Au gré des réponses des athlètes interrogés se dessinent aussi des pistes de réflexion pour dynamiser le 10 000.
1/ Une distance mythique
« Quand tu fais du demi-fond, le 10 000 m, c’est quand même une course un peu mythique. C’est un peu prestigieux, comme le cross » commence Romain Courcières, qui vient de glaner sa première sélection internationale le 7 juin à l’occasion de la coupe d’Europe de la discipline à Skopje en Macédoine. Une distance qui a imprégné les souvenirs des aficionados au fil de duels très intenses et spectaculaires lors des championnats planétaires.
2/ Un nouveau challenge
Lorsque la progression paraît difficile sur les plus courtes distances, les coureurs migrent souvent vers la route (semi puis marathon). Entre les deux, il y a le 10 000 mètres. « Le 10 000, ça me bottait bien. C’était un nouveau challenge. Même sans le préparer spécifiquement, faire plus de long, ça me motivait bien » raconte Timothée Bommier, qui sera lui aussi en lice en Macédoine. « J’aime bien courir sur la piste, avoir cette sensation de vitesse, à plus de 20 à l’heure. Les allures de 1 500, ça commence à être un peu trop rapides pour moi. Le 5 000 et le 10 000, c’est là où je me sens le plus fort. Le premier 10 000 s’est bien passé. Pour certains, c’est un calvaire. J’en garde un bon souvenir, et je n’ai pas eu trop de mal à gérer ma course. Comme je n’ai pas pris trop de risques, je ne connais pas vraiment mes limites sur cette distance. C’est plus l’aspect novateur qui m’attire » précise le Clermontois. « J’avais envie de tester la distance et d’essayer de me qualifier aux JO d’Athènes. Ce n’était pas possible sur 5 000 m » indique de son côté Christelle Daunay, qui a disputé son premier 10 000 mètres en 2003 à Marseille (32’39’’11). « Ça fait 10 ans que je fais du 10 000. C’est la distance que j’ai privilégiée jusqu’au marathon (son premier 42,195 km date de 2007 à Paris, 2h28’54’’). Et j’ai ensuite alterné marathon et 10 000 ». Avec réussite pour celle qui s’alignera sur le marathon cet été aux championnats d’Europe. « Ce qui m’a motivée, c’est porter le maillot de l’équipe de France sur le marathon. Je ne l’avais fait qu’une fois, à Pékin en 2008 (20e de ces JO). J’ai une chance de médaille sur le 10 000 mètres, mais je suis quand même plus marathonienne ». Christelle Daunay escompte bien améliorer son propre record de France (31’35’’81) : « Bien sûr c’est envisageable. Ce n’est pas possible cette année car je n’en ferai pas. C’est un record que j’ai dans les jambes. Même si 31’35’’ est un bon temps, c’est un record qui est facilement battable. Je sais que je valais mieux quand je l’ai fait ».
Riad Guerfi (doss 14) et Zouhair Oumoussa
3/ Le maillot bleu-blanc-rouge
Pour les coureurs dont les minima pour les grands championnats sont très difficilement accessibles, la coupe d’Europe du 10 000 mètres constitue une jolie opportunité de revêtir le maillot tricolore. « Ce type de sélection montre que l’on a à un moment une reconnaissance pour ces coureurs là » r elevait le manager du demi-fond tricolore Philippe Dupont afin notamment d’expliquer les sélections pour la Macédoine de Timothée Bommier, Romain Courcières ou encore Benjamin Choquert.Mais cette coupe d’Europe s’adresse également aux “chasseurs“ de minima. « Il faut bien sélectionner les courses, pour qu’il y ait de la densité. C’est ça qui est difficile en ce moment, que ce soit au niveau européen ou mondial » précise Christelle Daunay, qui avait justement battu le record de France du 10 000 m à Bilbao en 2012 sur la coupe d’Europe. Avec peu de grosses courses au calendrier, tant sur le plan national qu’international, la coupe d’Europe offre l’occasion de disputer une épreuve de haut niveau. « Dans le cahier des charges, il y a l’obligation de mettre des lièvres qui lancent la course sur les bases des minima du championnat estival » indiquait encore Philippe Dupont. A Skopje le 7 juin, Clémence Calvin, Laila Traby ou encore Hassan Chahdi (photo ci-dessous) auront les minima pour les championnats d’Europe de Zurich dans un coin de la tête (32’45’’00 chez les femmes, 28’30’’00 chez les hommes).
Marion Joly Testault, senior première année, s’est alignée très tôt sur 10 000 mètres, en espoir première année. « Pour moi, plus c’est long et plus ça me convient. Le 10 000 mètres m’a également permis de me qualifier pour les Europe espoirs » souligne celle qui a pris la 3e place des championnats de France (35’12’’90 ; record personnel : 34’32’’40 en 2013) et qui fut sélectionnée l’été dernier aux championnats d’Europe espoirs à Tampere en Finlande sur la distance (12e).
4/ Une course comme une autre
Se spécialiser plus vite selon son profil (sans bien entendu abandonner le travail sur 1 500 -5 000 m) est peut-être un axe à développer. Quand on regarde l’historique des sélectionné(e)s aux championnats d’Europe sur 10 000 m, seuls Denis Mayaud et Abdellatif Meftah ont représenté la France en 2012 à Helsinki. Personne en 2010, hommes et femmes confondus. Ils furent en revanche plus nombreux en 2006 (Christelle Daunay, Zahia Dahmani, Mokhtar Benhari, Driss El Himer), une année où Pierre Joncheray avait échoué à quelques petites secondes des minima (28’23’’90).Les deux seuls podiums continentaux sur la distance d’athlètes tricolores ? 1990 chez les femmes avec Annette Sergent (3e en 31’51’’68). Chez les hommes ? Il faut remonter en…1950 avec Alain Mimoun (2e en 30’21’’0). Du côté des espoirs, seuls deux athlètes ont pris part aux Europe sur la distance (Denis Mayaud et Pierrot Pantel en 2007), et quatre féminines : Chryssie Girard en 1997, Mélanie Prudent en 2009, Jennifer Tave en 2011 et donc Marion Joly Testault en 2013. Si cette dernière s’est alignée dès 2010 (première année espoir) sur 10 000 mètres, c’est aussi et surtout parce qu’elle se trouvait aux Etats-Unis dans le cadre de ses études… « Là-bas, c’est une distance comme une autre. Il y a presque autant de filles qui font du 10 000 que les autres épreuves. Il m’était impossible de me qualifier pour les championnats nationaux. J’avais notamment disputé les Regionals -le niveau juste avant les championnats nationaux-, et nous étions entre 30 et 40 dans la course (le 25 mai 2013, 35e en 36’00’’98, après avoir réalisé son record personnel fin avril 2013 à Philadelphie, 34’32’’40).
Pierre Joncheray, Benjamin Choquert et Timothée Bommier
5/ Les championnats de France fin avril, une période idéale ?
C’est ce que la fédération a mis en place depuis l’an passé, avec un lieu similaire, à Saint-Maur-des-Fossés, théâtre de nombre d’exploits tricolores en demi-fond. « C’est une bonne période. Je trouve que c’est bien placé pour faire du 10 000. Il ne fait pas trop chaud. Le fait qu’il y ait une bonne course à cette période de l’année m’a motivé à y participer » relève le Toulousain Romain Courcières, 9e (4e Français) aux France de cross. « Il faut quand même pas mal d’entraînement pour le sentir. J’ai fait les France de 10 km (le 13 avril) pour me débrider. Ça m’a énormément servi car j’avais subi sur la deuxième partie de course à Valenciennes ».
6/ Musique, grillades et bières
Sophie Duarte est allée quérir les minima pour les championnats d’Europe lors des championnats britanniques de la distance samedi 10 mai à Londres. « C’était une journée avec que des 10 000 mètres. Il y avait six courses. Le public se trouvait au couloir 4, les entraîneurs à côté à de la piste. Il y avait la musique, les grillades, la bière. En tant que coureuse, ça me fait “chier“ de faire du 10 000. Là, il y avait une super ambiance. C’est un peu ce que l’on retrouve en trail et sur route. Mettre le public sur la piste, même pour une personne qui ne connaît rien, franchement, c’est fantastique ».Jo Pavey, victorieuse de ce championnat britannique (32’11 »0), a souligné sur le site de la fédération britannique : « Il y avait beaucoup de vent. Mais l’ambiance était incroyable. Le foule m’a vraiment portée ». Si la course sur route a désormais supplanté le 10 000 mètres, (ré) instiller la convivialité et la ferveur caractéristique du hors stade sur le tartan est peut-être une bonne solution. Pour faire revenir le temps d’un 10 000 des coureurs désormais accoutumés au hors stade. Car si les chronos des meilleurs Français ont diminué sur 10 000 (chez les hommes du moins), la densité d’athlètes autour des 30’, 31’, 32’ et au-delà est en chute libre (voir le tableau ci-dessous)…
7/ Davantage de lisibilité
« Ce qui est pénible, c’est qu’il y avait une vingtaine d’inscrits le mercredi matin. Les gens ne se désengagent pas » regrette Marion Joly Testault. Une vingtaine d’engagées le matin, pour cinq concurrentes au départ le soir. Et ce fut le même scénario chez les hommes (avec une cinquantaine d’engagés pour vingt partants). Les pénalités financières existent pourtant (90 euros pour un désengagement tardif, 150 euros pour une non-participation). Un manque de visibilité qui est à la fois regrettable pour les coureurs (ce n’est pas la même chose de courir à 20 qu’à 5), les organisateurs (ainsi, une finale B masculine était prévu initialement) et les spectateurs.
Laure Funten, Marion Joly Testault et Corinne Herbreteau
8/ Régularité
Pour Laure Funten, championne de France à Saint-Maur et qui fêtera sa première sélection senior en Macédoine, « c’est peut-être une distance qui n’est pas forcément connue des filles ». Des propos corroborés par les bilans annuels (voir ci-dessous) où l’on constate effectivement qu’elles sont très peu à s’aligner sur 10 000 m. A tort selon la sociétaire du Spn Vernon. « Je trouve que c’est une très belle distance. On peut faire des jolis chronos, que l’on ne peut pas forcément réaliser sur route. J’aime vraiment la piste, et avoir ses chronos régulièrement, être toujours sur le même rythme, contrairement à la route où il y a des relances, ça monte, ça descend, permet de faire de bons temps ».De son côté, Christelle Daunay, qui courra dimanche tout comme Sophie Duarte à Manchester (10 km) ajoute en écho : « C’est plus monotone que la route. On a tendance à vouloir maintenir une allure tous les 400 mètres, contrairement au 10 km route. C’est une autre façon d’aborder le 10 km. Mais il faut partir du fait que c’est la même distance au final ».
9/ 25 tours à appréhender
La distance, justement. Comment appréhender cet inlassable tourniquet ?« Les premières fois, on a tous la même chose en tête. C’est 25 tours, c’est comme le marathon, on appréhende les 42 kilomètres. Mais on a forcément les 10 km dans les jambes. Je l’ai toujours bien abordé. Les premières fois, ça dépend dans quelles conditions on court. Si tu es dans un peloton et que les jambes vont bien ce jour là, ça passe tout seul. Si tu décroches, comme moi à Moscou où j’étais seule des le 5e km, le temps peut paraître un peu plus long. Le mental prend le dessus » souffle Christelle Daunay, 10e des Mondiaux de la discipline à Moscou l’été dernier.Romain Courcières a vécu de son côté une première tentative fort délicate, en 2013 (30’34’’03). « Je n’avais fait que subir. J’avais vraiment peur du nombre de tours. J’étais parti trop vite et la seconde partie avait été horrible ». Parti plus prudemment et en confiance, le Toulousain a cette année beaucoup mieux négocié la course. Timothée Bommier a quant à lui bouclé avec brio sa première tentative (29’15’’64). « Il y avait une appréhension sur le nombre de tours. Mais en même temps, j’avais quand même une certaine confiance de part les séances que j’avais faîtes avant. J’étais à la fois sûr de mes capacités pour faire 29’30, mais en même temps, 25 tours sur la piste, c’était l’inconnu. Je suis arrivé au 5 000 relativement frais et ça s’est bien passé ».À l’instar des autres épreuves, la clé est sûrement là : la confiance accumulée à l’entraînement est le meilleur antidote à l’appréhension liée aux 25 tours.
10/ Un mental endurcit
Pour Sophie Duarte, le 10 000 mètres constitue un « passage » en vue d’objectifs futurs (la route notamment). Et son 10 000 mètres londonien (32’36’’32) s’est révélé fructueux. « C’est un objectif intermédiaire, qui sert à repousser mes limites, notamment mentales car le 10 000 est très difficile. Ça m’attire pour cela ». Si le cross est par essence une discipline de la souffrance, « une école de la vie » comme le soulignent bon nombre d’athlètes, se battre sur piste contre les éléments extérieurs est tout aussi enrichissant. Car à la différence du cross, on court la plupart du temps contre le chrono sur la piste, et tel un métronome, il convient de maintenir un tempo régulier, nonobstant les conditions. « Ça été mentalement positif. Quand j’ai franchi la ligne, ça été un moment de joie, car c’est vaincre des conditions extérieures délicates » se réjouissait ainsi Sophie Duarte à l’issue de son premier 10 000 m.Alors prêt(e) à épingler un dossard ?!
Tableau récapitulatif des performances sur 10 000 m hommes et femmes :
Ce tableau éclaire l’évolution du 10 000 mètres en France. Pas que le haut niveau, mais aussi la densité globale (en prenant en compte la 50e performance de chaque année). Avec comme base 2014, et en remontant tous les 10 ans (pas de données disponibles pour 1994), jusqu’en 1954, on constate qu’actuellement, le niveau du 10 000 est similaire à celui de… 1964.Source : le site de la commission et de la documentation de la FFA, et ce site internet pour les bilans antérieurs à 2004.
Chez les femmes, la distance est beaucoup disputée, quelque soit les périodes :