JO Londres: Perche femmes , Jennifer Suhr détrône la reine Elena Isinbayeva
Vice-championne du monde l’année dernière, Jennifer Suhr confirme avec ce titre olympique, et détrône la double championne olympique Yelena Isinbayeva, alors que la Cubaine Yarisley Silva prend la médaille d’argent.
Pour toutes les perchistes, ce concours fut d’abord un combat contre les éléments, et contre elles-mêmes. Le vent, la pluie, le froid, un mixte redoutable et redouté, tant il durcit la compétition et la rend dangereuse. Après 10 ans de très haut niveau, et des concours à travers toute la planète, la reine Elena sait de quoi elle parle, quand elle décrit ces conditions en martelant : “Ce n’était pas du mauvais temps. C’était TERRIBLE !”Surtout ces violentes rafales de vent, qui perturbent les prises d’élan, comme l’explique Jennifer Suhr: «Le vent diminuait, vous faisiez des ajustements et modifiez vos marques. Et puis le vent revenait plus fort qu’avant. C’était fou»Et quelques compétitrices vont payer la note, comme la Polonaise Rogowska, et la Britannique Holly Bleasdale, qui butera à 4,45 mètres, et à la 6ème place. A chaque saut, c’est son jeune entraîneur, le Français Julien Raffaeli, qui lui donne les instructions par quelques signes. Une main levée, il faut patienter. Le doigt qui fait des ronds, il faut y aller. Un peu directif, mais Julien Raffaeli souligne que sa protégé n’a que 20 ans, 3 ans de pratique derrière elle, et qu’elle manque d’expérience, malgré sa médaille de bronze au mondial en salle de mars: «C’est en fait sa première finale en outdoor, elle avait fait zéro en qualifications à Daegu. Elle est déçue, elle avait les moyens de faire mieux, elle avait beaucoup de pression.» Comme tous les Britanniques, bien sûr. Les médias anglais se sont beaucoup intéressés à cette toute jeune perchiste, entraînée par un coach français. Une situation que banalise Julien Raffaeli: «Cela ne pose aucun souci avec les coaches britanniques, ou même les entraîneurs français. La perche est une grande famille»Le couple Suhr, addicté à la perche Pour Jennifer Suhr, la perche est même une vraie affaire de famille, coachée depuis ses débuts par son mari, qui l’a sortie du basket pour la diriger vers cette discipline, et elle va vite en concevoir une addiction. Toute la vie du couple entièrement conçue autour de ce sport, ils ont même construit un hangar au fond de leur jardin, à Rochester près de New York, pour abriter l’entraînement. Et c’est à la dure qu’elle s’y prépare, dans le froid ou le chaud, sous la houlette d’un coach exigeant avec lequel elle partage aussi sa vie, et elle avoue: «Nous avons passé beaucoup de temps dans ce hangar. Il y a eu beaucoup de sueur, de sang, et de larmes là-bas.»En cette soirée grise, il y eut aussi beaucoup de larmes sur cette piste de l’Olympic Stadium. Celles de Jennifer Suhr, enlacée dans les bras de son mari et entraîneur. Celles d’Elena Isinbaeva, terriblement déçue de sa défaite. La double championne olympique restera longtemps au sol, le visage caché sous sa serviette pour dissimuler son émotion, et elle s’épanchera longuement dans les bras de Yevgeny Trofimov, son «vieil» entraîneur.Après sa deuxième victoire olympique, à Pékin, Elena avait voulu tourner la page de la perche, pour marquer une pause, donner du repos à son corps, et vivre tout simplement. Elle dominait tant la perche féminine qu’elle n’imaginait sans doute pas qu’il serait si difficile pour elle de revenir…Ce soir, sa seule consolation viendra de Jennifer Suhr, qui lui rendra un bel hommage: La compétition ici était très dure. Tout le monde a les mêmes buts, et avec Elena dans le concours, la barre est relevée, littéralement et physiquement, car elle est la plus grande des compétitrices. Alors, vous devez toujours rester sur vos gardes, vous ne pouvez jamais vous relaxer. Quand elle est présente, vous savez que vous devez continuer. Mon opinion est que c’est un honneur de concourir contre elle. Il y avait beaucoup de respect ici.»Et Elena Isinbayeva répondra très simplement: «Merci»
Odile Baudrier / Gilles Bertrand