JO de Londres: Usain Bolt, athlète planétaire
La finale du 100 mètres est toujours un moment exceptionnel aux Jeux Olympiques mais cette finale suscitait un intérêt très particulier, avec Usain Bolt, en quête d’un 2ème titre, alors qu’il paraissait moins dominateur. L’homme le plus rapide du monde a confirmé son statut, et l’évènement a fait le tour de la planète.
Ce soir, Usain Bolt est aux commandes. Derrière lui, une foule incroyable, les spectateurs, les partenaires, les officiels, les médias. C’est la journée de tous les dangers pour les responsables des médias du stade olympique. Dès 17 heures, toutes les entrailles du stade sont déjà en ébullition. Les médias ont le feu. Les radios ont du mal à rentrer dans l’espace qui leur est réservé, sous le stade, à la sortie de la piste. La file d’attente s’allonge, il n’y aura pas de place pour tout le monde, ça s’énerve et ça crie. Les tribunes de presse sont prises d’assaut, les derniers arrivants devront rester debout. Les photographes squattent la fosse, et s’empilent comme ils peuvent. Tous les espaces paraissent trop petits, cet homme-là subjugue les foules du monde entier. Les Colombiens, comme les Américains, les Français, ou les Vietnamiens. La «Boltmania» est une forme de mondialisation. Usain Bolt passionne tous et toutes. Par ses performances. Par son attitude. Ses fameux gestes et son exubérance lui ont donné un statut à part, de véritable star. Son raté de Daegu l’a rendu plus fragile, ses échecs aux Trials jamaïcains l’ont affaibli. Et finalement quelle est la plus belle histoire à vendre, le come-back de l’homme le plus rapide du monde ou son échec? Les agences ont déjà préparé les deux versions de leurs articles, la réussite, la défaite. Dès la demi-finale, cette question devient caduque. Usain Bolt le scintillant est bien de retour. La victoire lui semble promise. Deux heures plus tard, la vérité explose, Usain Bolt se catapulte vers l’arrivée, en 9’’63. Les milliers de spectateurs exultent. Pour les médias, le grand cirque débute. Tout le monde veut le voir, l’apercevoir, lui parler, le filmer, lui tendre un micro. Chacun s’estime plus important que son voisin, et aimerait recevoir un traitement de faveur. Le Jamaïcain le sait, il l’a appris depuis les JO de Pékin. A peine son tour d’honneur terminé, il se colle aux contraintes médiatiques. La traversée des allées des télévisions et des radios va lui prendre beaucoup de temps, il passe de la BBC à la TV Norvégienne en passant par France Télévisions, avant d’enchaîner avec les radios. Dans la zone mixte dédiée à la presse écrite, un dispositif exceptionnel a été déployé, avec la sonorisation de la salle par des hauts parleurs. La salle de conférence de presse est pleine à craquer, l’entrée y est interdite. C’est du jamais vu! Il est plus de 23 heures, Usain Bolt s’installe face à cette meute de journalistes, il y a déjà plus d’une heure qu’il livre ses impressions aux uns et aux autres. Mais le Jamaïcain répond calmement aux questions, et fait le métier avec le sourire. Quelle classe! Usain Bolt, la légende est lancée. Usain Bolt arrive fatigué par sa course, et par ce long périple médiatique. Mais il n’en demeure pas moins lucide, au point de temporiser parfois l’enthousiasme des journalistes. Ainsi refuse-t-il d’être désigné comme une Légende: «Je ne me considère pas comme une légende. Aujourd’hui, c’est la première étape. Si je gagne aussi le titre sur 200 mètres, alors, je me considèrerai comme une légende.»Usain ne veut pas estimer la victoire sur 200 m comme acquise: «J’ai entendu Yohan Blake dire quelques mots à ce sujet…» Et il craint son compatriote, qui l’a battu sur 100 m comme sur 200 m aux Trials Jamaïcains. La relation entre les deux hommes est particulière. Usain et Yohan partagent leur entraînement au quotidien, et demeurent des amis. A Londres, plus d’un coach étranger a été surpris à les observer à l’entraînement, étonnés de les voir s’échauffer tous les deux, plaisanter ensemble, pour ensuite être capables de se battre sur la piste.Peut-être parce qu’Usain sait qu’il doit beaucoup à son rival et ami: «Aux trials, il me bat deux fois. Cela m’a ouvert les yeux. J’ai pensé Ce sont les JO. Es-tu prêt pour ça?» Et il s’est recentré sur l’essentiel, ces futurs JO, en oubliant les sorties, la musique, et les quelques verres d’alcool qui vont avec…Deux autres hommes ont été essentiels pour cette reconquête. Son coach Glen Mills, et le docteur Muller-Wohlfahrt. C’est après une nouvelle visite à Munich au médecin allemand qu’Usain Bolt a pu se relancer: «Muller-Wohlfahrt représente une part importante de mon succès dans ma carrière. Je vais chez lui depuis que j’ai 18-19 ans, quand je me suis blessé pour la première fois. Il a vraiment fait un gros travail pour moi. Après les trials, je suis allé chez lui, il m’a regardé tous les muscles, et il m’a dit que j’allais réussir quelque chose de grand. Il m’a dit d’y aller et de courir. Et ensuite, il a donné à mon coach le feu vert pour me brutaliser à l’entraînement. Ce qu’il a fait»Glen Mills ne s’est pas contenté de sortir la cravache pour faire avancer son protégé, il a surtout trouvé le bon argument pour le rassurer: «Il m’a expliqué après les trials qu’il fallait que j’arrête de m’inquiéter à propos de mon départ et que je devais me concentrer sur la fin de ma course, car c’est là que je suis le meilleur.» Une analyse totalement inverse à celle la plus fréquemment développée par les coaches, qui incitent souvent les athlètes à travailler leurs points faibles… Mais Glen Mills avait su trouver le bon angle pour remobiliser son athlète encore traumatisé par l’affaire du faux départ de Daegu, comme il l’admet très simplement: «C’est derrière moi, mais cela demeure dans mon esprit. Je serai ravi de pouvoir dire que je n’y pense pas du tout! J’étais un peu nerveux avant le départ. Mais quand je suis entré dans le stade, la foule m’a donné un tel accueil qu’en entendant mon nom, les vibrations se sont envolées et j’ai pensé C’est le moment de jouer»Pourtant hormis cette crainte du faux-départ, Usain Bolt se sentait serein: «En fait, il n’y avait aucune pression. Après la demi-finale, j’étais vraiment confiant parce que j’avais pu sentir que mes jambes étaient vraiment très bien. En finale, je ne me suis pas vraiment rappelé que je courais contre le chrono jusqu’à environ 25-30 mètres à courir. J’ai regardé l’horloge mais c’était trop tard.Au bout de 50 mètres, j’ai regardé autour, et j’ai su que j’allais gagner.»Et cette deuxième victoire olympique représente bien plus que celle de Pékin il y a quatre ans: «Oui, cela veut dire beaucoup. Car beaucoup de monde doutait de moi, beaucoup disait que je n’allais pas gagner, que je ne paraissais pas bien. Il y a eu beaucoup de paroles. Alors, c’est énorme de venir ici et de montrer que je suis encore le Numéro 1, que je suis encore le meilleur »
Odile Baudrier / Gilles Bertrand