JO de Londres: 20 km marche : Bertrand Moulinet sur un beau nuage après sa 8ème place.
Quelques mots d’espagnol pour féliciter Lopez, une phrase dans un bon anglais pour répondre aux encouragements de l’Australien Tallent, puis Bertrand Moulinet lâche un instant le fer blanc de la rembarde pour se précipiter dans les bras d’un marcheur ukrainien échangeant quelques mots en russe. Bertrand Moulinet est submergé par le bonheur.
Ses premiers mots sont : Mais je ne sais pas quoi dire, mais il veut tout dire, se raconter, pour expliquer dans le feu roulant d’une telle performance les raisons d’une huitième place qu’il qualifie ainsi : huitième aux J.O., c’est le graal.C’est donc l’histoire d’un marcheur, d’un jeune marcheur qui est habité. Avec cette force intérieure, cette force supérieure qui permet à un danseur, un pianiste, un forgeron, un rocker et un marcheur de trouver les raisons d’aller si loin dans cette quête d’excellence. De talon pointe en talon pointe à marcher, à danser sur ce fil invisible.Bertrand Moulinet sur ce Mail, devant Buckimgham Palace a joué les funambules, sans filet, sans balancier. Sans tomber. Bien calé dans une course nerveuse où ces hommes postés en tête de pont se sont donnés des coups à défendre chèrement un rayon de lumière. La course vient de débuter et le marcheur français est là comme prévu, lui aussi à mordre, à frotter des coudes pour se faire accepter aux côtés des marcheurs chinois et russes. J’étais là pour me battre. Sur le bord de cette avenue royale, son père est là, Gérard Lelièvre le coach aussi et le kiné qui connaît tout de cette musculature triturée par une longue préparation en altitude. Ils ne lui ont donné aucun conseil simplement faire comme à la maison, ce que je sais faire le mieux et leur donner du plaisir et des sensations.Contrat rempli des deux mains, des deux pieds. Coup double, une place de finaliste au terme d’une course limpide, sans souffrir, s’offrant même le luxe de mener ces Jeux près de 3 km lors d’une courte période transitoire où russes et chinois s’observèrent en neutralisant le tempo. Bertrand Moulinet cherchera à savourer, à se délecter, sans se démobiliser, en sachant que ce ticket de sortie lui serait bien vite repris. Il reste ainsi calé, branché, rétrograde à la dizième place mais le désir, la faim l’emportent pour le propulser à la huitième place, nouveau record personnel battu en 1h 20’19, conforme à ce qu’il réalisait déjà à l’entraînement : 3’55, 3’56 au kilomètre, à Font Romeu, j’allais plus vite à 1700 m d’altitude qu’en plaine précise-t-il.Cette motivation et ce perfectionnisme, ce marcheur en marge d’une route officielle l’a puisé auprès de l’école russe. Les meilleurs marcheurs sont russes, donc si tu veux savoir comment ça se passe chez eux, et bien il faut communiquer. Il achète une méthode d’apprentissage du russe puis s’envole pour Saranks et son centre olympique qui abrite l’école de marche. Il veut comprendre, initimidé par les lieux. Mais le directeur Viktor Chegin casse la glace et prend sous son aile ce jeunot : Tu vaux quoi toi, hum 1h 23’…Pas terrible. La réponse de Bertrand : Oui ça ne fait que trois ans que je marche. Le lendemain, il est convié à sa première séance mais avant cela il doit subir le bizutage à la russe. La soirée qui tue et qui vous met en travers. Ce petit groupe achète des bières au litre, on boit du Balsan, on va au sauna où Viktor Chegin fouette le gamin avec des tiges de lauriers séchées comme le veut la tradition. Le lendemain, Bertrand se lève, le crâne fracassé mais réussit à tenir son rang dans une sortie de 23 km à jeun. Les Morosov et Bartsaykin ne s’y sont pas trompés. Le français, c’est en homme en fer .Après Daegu et ce final nauséeux, à Londres, le ciel s’est éclairci pour Bertrand Moulinet. Il veut voir loin, le ciel est pur. Il affirme après avoir éteint mille sanglots qui l’ont submergé à l’arrivée, assis seul sur le goudron : Toute ma motivation, elle est née là bas en Russie et c’est grâce à ces moments là que j’en suis là aujourd’hui. Quant aux 50 km, distance pour laquelle il est également qualifié, il sera bien au départ dans une semaine : Juste pour voir ce que je peux faire avec mon nouveau chrono sur 20 km.
Odile Baudrier / Gilles Bertrand