Emilie Menuet : "j’ai battu des filles qui ont déjà fait moins de 1h30, ça me fait moins peur"
A Rio, la performance est passée quasi inaperçue, quelques heures après le 50 km de Yohann Diniz (8e). Mais Emilie Menuet a réalisé de probants Jeux Olympiques, en s’adjugeant la 13 place en 1h32’04’’, à quelques encablures de son record personnel (1h31’38’’ en mai La Corogne), signant la meilleure performance d’une marcheuse tricolore dans un championnat planétaire. Preuve que le comité de sélection et le CNSOF avaient bien fait de sélectionner la Blésoise, qui avait réalisé les minima…trois jours après la date limite (lire ici). Avant de partir pour trois semaines de vacances bien méritées, Emilie Menuet a raconté sa course.
A froid, comment analysez-vous votre résultat ?
Je ne m’attendais pas du tout à faire cette place. Chez les femmes, en compétition internationale, on a l’habitude d’être assez loin. J’avais le 38e chrono de la start list. Je m’étais dit que faire dans les 25 premières serait déjà une belle course. Là, 13e, j’étais surprise et très contente. Après, je savais que j’avais progressé à l’entraînement, et que je vaux mieux au niveau du chrono dans des conditions normales. J’ai pris plaisir à marcher avec des filles qui font 1h28’, 1h29’. C’est la première fois que je fais une course dans la première partie du peloton.
Vous avez rattrapé pas mal de marcheuses sur la deuxième partie.
Je me sentais bien physiquement, je ne me suis pas posée de questions et je suis restée avec les filles au début. Le premier peloton de 20-25 n’est pas parti vite avec la chaleur, les filles étaient en deçà de leur temps. Ce sont des allures que j’avais travaillées à l’entraînement, je me sentais bien pour pouvoir les tenir. Les filles ont accéléré au 10e, j’ai eu un petit coup de mou entre le 10-12e et c’est vrai qu’après, ça a craqué devant avec la chaleur, même des filles très fortes. Ça m’a beaucoup motivé sur la deuxième partie de course, en me disant : “allez, j’en rattrape encore une“ etc…Je fais le deuxième 10 km vingt secondes moins vite que le premier, ce qui est plutôt correct au vu des conditions.
Sinon, j’ai pris de l’eau dès les premier 500 mètres, puis deux fois par kilomètres. Je n’ai pas loupé un ravitaillement, je pense que c’était important pour finir car il faisait vraiment chaud.
« J’aurais pu continuer encore trois semaines »
En quoi votre première expérience en grands championnats seniors à Pékin (31e en 1h36’17’’) vous a-t-elle servie ?
Dans tout l’aspect préparation, pour arriver en forme et avoir encore envie au mois d’août car la saison est longue et on a parfois envie que ça se termine. Là, j’étais contente d’aller m’entraîner, j’avais envie de faire la course, et si on m’avait dit de continuer (la saison) encore trois semaines, j’aurais pu. J’étais vraiment dans une dynamique plus positive (qu’en 2015). Physiquement, je me sentais mieux.
Je suis descendue de Font Romeu trois semaines avant, j’ai bien pris le temps de me reposer à la redescente. L’année dernière, j’avais un peu tout enchaîné et j’avais accumulé de la fatigue.
A quoi attribuez-vous votre progression ?
Je me suis vraiment sentie mieux depuis le mois de juillet à Font Romeu. J’ai fait de belles séances que je ne faisais pas avant. Après la coupe du Monde à Rome (le 7 mai, 57e en 1h36’43’’, ndlr), j’étais fatiguée et déçue de ce que j’avais fait. Je me suis moins posée de questions. Je me suis déjà reposée, alors que des fois, on se dit : “il faut que je m’entraîne“ et on ne prend pas le temps de se reposer. Là, j’ai pris 3-4 jours où je n’ai pas marché du tout et je n’ai pas culpabilisé. Mon corps a récupéré de tout l’hiver.
A partir de fin juin, j’ai arrêté de travailler et je ne me suis consacrée qu’à l’entraînement, avec tout ce qui va à côté. C’est important pour la performance. J’ai passé l’été à être professionnelle et on ressent quand même la différence.
« Ne pas avoir peur des adversaires »
Vous vous entraînez depuis cette saison avec Pierre Pompili (après avoir passé plus de dix ans sous la férule de Marc Glaudel). Qu’est ce que cela vous a apporté ?
L’entraînement n’a pas spécialement changé. Je recherchais plus l’aspect motivation, sur le fait de ne pas avoir peur des adversaires, que d’autres y arrivaient et qu’il n’y avait pas de raison que je n’y arrive pas. C’était plus à ce niveau là que physique.
Ça s’est vraiment débloqué après Rome, je me suis dit : ne te prend pas la tête. Quand on court après les minima (réalisés le 28 mai à La Corogne, ndlr), ce n’est pas évident. Je me suis débloquée et mon corps a ensuite assimilé tout ce que j’avais fait à l’entraînement. Je pense que sur des distances comme ça, on progresse un peu par palier. Des fois, on ne progresse pas trop sur certaines années ; là, j’ai senti que j’étais plus forte en juillet à Font Romeu.
Après, ce n’est pas facile de retranscrire qu’on fait à l’entraînement en compétition. Là, j’ai réussi à faire ce que je valais, même peut-être encore mieux. C’est vraiment un accomplissement du travail que j’avais fait.
Comment voyez-vous la suite ?
Les douze devant moi à Rio font tout le temps ces places. Le but serait donc d’être régulière à ce niveau là, faire un peu plus de courses sur le challenge IAAF, comme à La Corogne, pour apprendre, progresser, prendre l’expérience avec les filles qui sont fortes, et ne plus avoir peur des adversaires. L’objectif serait aussi de faire vite pour moins de 1h30 : c’est le chrono qui délimite un peu le haut niveau mondial du reste. Là, j’ai battu des filles qui ont déjà fait moins de 1h30, ça me fait moins peur.
Avant, je me disais tout le temps que c’étaient des filles trop fortes, je ne m’imaginais même pas partir avec elles sur une course. On était derrière et elles nous prenaient un tour. Là, avec les progrès, la course des Jeux, je les vois comme normales et ça motive.
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Interview et photo : Quentin Guillon.