Rio 2016 : Semenya, Farah et Centrowitz enflamment la nuit
Les dernières épreuves nocturnes se sont déroulées la nuit dernière aux Jeux Olympiques de Rio. La surprise est venue du 1 500 m masculin, remporté par l’Américain Matthew Centrowitz.
Il n’y eût en revanche aucun véritable suspense lors du 800 mètres féminin (1), qui a vu la victoire, comme attendu, de la Sud-Africaine Caster Semenya, en un très gros 1’55’’28, devant la Burundaise Francine Niyonsaba (1’56’’49) et la Kényane Margaret Wambui ((1’56’’89).
Ce podium qui était très probable ne manque pas d’interpeller à l’aune des caractères et traits masculins développés par les trois protagonistes, athlètes intersexuées. Semenya, Niyonsaba, Wambui souffrent d’une anomalie génétique : corollaire, elles produisent trop de testostérone ; c’est l’hyperandrogénie.
La Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) avait bien tenté de circonscrire le problème en interdisant la compétition aux athlètes dont le taux de testostérone dépassait un certain seuil (2), mais le Tribunal Arbitral du Sport (TAS), qui avait été saisi par la sprinteuse indienne Dutee Chand, a suspendu deux ans cette mesure en juillet 2015.
Que faire pour préserver l’équité sportive ? La question est éminemment complexe. Dans la nuit de jeudi, sur le plateau de France Télévisions, Pierre-Ambroise Bosse, 4e du 800 m quelques jours plus tôt, a été interrogé sur le sujet par Patrick Montel.
« C’est cruel. Elle (Semenya) n’a rien demandé. Elle aime juste le 800, elle est passionnée de son sport, c’est un certitude. Mais peut-être qu’il devrait y avoir une catégorie à part. Ça ne laisse pas beaucoup de chances de médailles pour les autres, malheureusement » a-t-il proposé en souriant.
« La définition des sexes n’est pas aussi binaire qu’on peut le penser »
Eric-Emmanuel Schmitt, consultant chargé d’apporter un autre regard sur les Jeux Olympiques (lire son interview dans le dernier VO2 Run ici) est alors intervenu, sans doute avec à-propos :
« Je ne pense pas qu’il devrait y avoir une catégorie à part. Elle (Semenya) est dans la catégorie où elle doit être. Elle a un taux de testostérone qui est trois fois plus important que les autres femmes mais c’est une femme, elle se considère comme une femme. On sait que la définition des sexes n’est pas aussi binaire qu’on peut le penser. Le problème, c’est qu’elle interroge la société mais elle s’est pris la société dans la figure. C’est-à-dire que ce qu’on lui a infligé, cette espèce d’amputation, de mutilation chimique (la prise de médicaments afin de faire baisser son taux de testostérone, ndlr), qui tout d’un coup a fait baisser ses performances, a vraiment été d’une telle violence contre elle. Heureusement, le TAS en a décidé autrement. Mais je pense qu’elle a fait avancer la réflexion. Ce n’est pas forcément une athlète du 800 mètres, mais sa célébrité et ce qui lui ai tombé dessus a fait avancé la réflexion société et les gens sur le fait qu’on ne pouvait pas se contenter d’une définition binaire et purement morphologique ».
Equité sportive et tolérance, questionnement complexe
« J’en conviens » a alors susurré Pierre-Ambroise Bosse. Reste que les athlètes non intersexuées ont aussi le sentiment de ne pas courir dans la même catégorie…selon les standards de la féminité et de la masculinité en vigueur. L’équité sportive est-elle bafouée ? Vous avez quatre heures…
Il n’y a pas eu ce genre de débat sur le 5 000 mètres, où Farah a sans surprise réalisé le « double double » : double champion olympique 5 000 – 10 000 à Londres, derechef à Rio. C’est bien simple : à partir de son titre sur le 5 000 m aux Mondiaux de Daegu en 2011 (qui faisait suite à sa 2e place sur le 10 000 mètres), il est invaincu dès lors qu’il s’est aligné sur un 5 000 et un 10 000 en grands championnats (Londres 2012, Moscou 2013, Europe de Zurich en 2014, Pékin 2025 et Rio 2016).
Mais il n’a pas battu son record chinois, où il avait claqué un surréaliste 2’19’’20 sur son dernier 1 000 mètres. Il faut dire que la course était partie sur des bases éminemment lentes (13’50’’38 au final), et cette nuit, il s’est imposé en 13’03’’30, avec un dernier tour en 52’’93 (et un dernier mille en 2’23’’94). Ce qui équivaut peu ou prou à la même chose.
Farah et son lot d’interrogations, aussi…
Mais là aussi, il y a forcément interrogation(s), et on vous avoue que l’on préfère les questions de société aux sempiternelles soupçons de dopage pour un athlète dont le coach (le très controversé Alberto Salazar) fait actuellement l’objet d’une enquête diligentée par l’agence antidopage américaine (USADA), faisant suite à une enquête de la BBC ayant mis en exergue la propension de Salazar à encourager ses athlètes à prendre des substances interdites (à lire ici dans notre magazine). Alors que des photos montrant Farah aux côtés de Jama Aden, le coach de la recordwoman du Monde du 1 500 m Genzebe Dibaba, arrêté en Espagne avant d’être relâché (il doit cependant y rester) n’ont fait qu’étayer de très fortes suspicions générées par des chronos monstrueux.
Enfin, sur 1 500 mètres, bien que bête de championnat, on n’attendait pas l’Américain Matthew Centrowitz sur la plus haute marche du podium. Ayant bien négocié une course éminemment tactique (3’50’’01), il a réalisé un très gros dernier tour (50’’62) pour s’adjuger le titre olympique, devant l’Algérien Taoufik Maklhoufi (déjà argenté sur 800 m) et le Néo-Zélandais Nicholas Willis, alors que le champion du Monde en titre Asbel Kiprop, moins saignant cette année que son stupéfiant chrono l’an passé à Monaco, a pris la 6e place.
(1) Rénelle Lamote (qui a peut-être été en forme trop tôt dans la saison ?), et Justine Fédronic (à découvrir dans le dernier VO2 Run) n’avaient pas passé le cut des séries, alors que la Malienne Noélie Yarigo, qui s’entraîne en France –son portrait ici– avait été éliminée en demi-finales.
(2) La limite de ce taux avait ainsi été fixée à 10 nmol/l pour une femme, le taux moyen de la population féminine se situant entre 0,1 et 2,8 contre plus de 10,5 pour les hommes, selon l’IAAF.
Texte : Quentin Guillon.
Photo : Getty Images © Copyright.