Merci Usain Bolt !
Le double titre d’Usain Bolt sur 100 et 200 mètres a relégué au second plan le trouble actuel dans lequel est plongé l’athlétisme mondial, entre les affres du dopage qui ressurgissent et les accusations de corruption qui ébranlent l’IAAF. Jusqu’à quand, c’est une autre question.
C’est curieux, cette inextinguible volonté vers laquelle athlètes, spectateurs, observateurs en tous genres aspiraient à la victoire d’Usain Bolt, et sur le 100 et sur le 200 mètres. Un duel manichéen entre le bon Usain Bolt, facétieux, affable, dont on savoure la foulée, devait triompher du mauvais Justin Gatlin, dont l’image véhicule immanquablement le halo du dopage, lui qui à 33 ans a battu ses records personnels, après deux suspensions pour dopage (2001, puis de 2006 à 2010, stéroïdes).
S’il doit bien y avoir quelques thuriféraires de l’Américain, ils ne sont pas pléthore à l’avoir défendu publiquement, à la notable exception de son agent Renaldo Nehemiah.
C’est ainsi que la planète athlé a poussé un immense soupir de soulagement lorsque le sprinteur coaché par Glenn Mills, au cassé, s’est adjugé son neuvième titre mondial dimanche dernier sur la ligne droite. A un centième près, le tout nouveau président de l’IAAF Sebastian Coe, qui ne répond désormais plus aux interviews concernant le dopage, demandes émanant notamment des médias britanniques, a évité un premier (très) chaud dossier.
Et derechef l’athlé n’aurait pu pas faire l’économie de la question de sa crédibilité, lors un ex dopé retrouve le sommet mondial (Gatlin a été double champion du Monde 2005 du 100 et du 200 m, ainsi que champion olympique 2004 du 100 m à Athènes, mais bon, on éprouve quelques difficultés à y accorder de la crédiilité !).
« Le relâchement, encore plus important que pour le 100 mètres »
C’est effrayant : un centième et l’histoire n’est plus la même…Mais Bolt est passé par là. Une première salve dimanche soir, où la série de 26 victoires consécutives de son adversaire prit fin. Puis une seconde jeudi 27, pour un remake du palpitant duel. Car tous atteints de schizophrénie que nous sommes, le duel nous fait saliver, nonobstant notre connaissance commune du passé de Gatlin et de ses performances dingues, qui elles ne font pas vibrer, loin s’en faut. Ah l’(in)conscience humain…
Plus prosaïquement, quel était la clé de ce remake ? « Rester devant » se marrait mercredi à l’issue des demi-finales Justin Gatlin.
« La clé, c’est le relâchement, qui encore plus important que pour le 100 m, car trop de contraction épuise l’organisme plus rapidement » exposait avant la finale Pierre-Jean Vazel, fin observateur de la chose athlétique, et notamment ex coach du Nigérian Olusoji Fasuba (record d’Afrique sur le 100 m avec 9’’85) ainsi que de Christine Arron au crépuscule de sa carrière.
« Le tirage des couloirs est intéressant : Gatlin (au 4) aura Bolt (au 6) dans le viseur, il faudra qu’il puisse garder son sang froid tout en allant chercher Bolt. Ils ont une construction de course sur 200 m assez similaire, avec un gros virage, tout se jouera dans les 50 derniers mètres » poursuivait-il.
Gatlin avait, a priori, l’avantage des pronostics, fort de ses 19’’57 claqués à Eugene fin juin. Mais ça, c’était avant dimanche. Car l’Américain était aussi leader en 2015 sur la ligne droite. On connaît la suite.
« Bolt supérieur techniquement »
Sur 200 m, Bolt n’était pas allé plus vite que 20’’13 en mai dernier, son seul demi-tour de piste de l’année avant de se blesser et d’arriver sans repères à Pékin. Mais il avait recouvré son légendaire relâchement en demies : 19’’95 en se promenant ; jamais il n’était allé aussi vite à ce stade aux Mondiaux.
20h45, hier. Une immense clameur monte des tribunes à l’entrée des protagonistes sur le tartan. Le Nid, ce théâtre à ciel ouvert, trépigne. Gatlin, le méchant, est au couloir 4. Bolt, le bon, est donc au 6. Au Milieu de la scène pour devenir l’Empereur. Où, pendant seulement vingt secondes, les masques tombent.
Les Chinois s’époumonent pour ce duel, et le Jamaïcain est presque plus soutenu que les athlètes locaux. Il faut dire qu’à bien des égards, Bolt est lui-aussi un Empereur sur le sprint.
La finale du 200 m :
Finalement, Bolt dompta avec une insigne maîtrise sa course de prédilection, là où Gatlin se liquéfia. Le public ne fut pas dupe : une éloquente ovation accompagna les dernières mètres du Jamaïcain, qui se permit de se frapper le torse. 19’’55, meilleur chrono de l’année (19’’74 pour Gatlin). 2-0, doublé du Jamaïcain. Match plié.
« Bolt a été supérieur techniquement » analyse Guy Ontanon, l’entraîneur de Jimmy Vicaut. « Contrairement à Gatlin, qui a certainement manqué de contrôle en jouant le chasseur. Sa foulée est passée en cycle arrière après 150 m de course, ce qui donne cette sensation de chute dans les quarante derniers mètres. Après 150 m, ses appuis se posaient en rupture. D’où la perte encore plus importante dans le différentiel avec Bolt dans la seconde partie de la course. Car il y a presque deux mètres d’écart à l’arrvié ».
Gatlin, « l’ombre de lui-même »
« Gatlin était l’ombre de lui-même. Ça n’avait rien à voir avec son 200 m de Eugene » souligne Pierre-Jean Vazel. Cette « crispation » trouve son explication dans l’ascendant pris par Bolt (« il a posé son empreinte dès le 100 m et c’est devenu compliqué pour Gatlin » glisse Ontanon) et l’incroyable pression extérieure subie par l’ex dopé, qui a 33 ans va-plus-vite-après-suspension-qu’avant.
Dimanche soir, à l’issue du 100 m, un journaliste britannique lui signifia qu’une myriade d’athlètes souhaitaient la victoire de Bolt, à l’aune de l’image négative véhiculée par la double suspension de l’Américain (en 2001 puis de 2006 à 2010, positif à la testostérone). « Je suis reconnaissant » avait-il riposté ironiquement. Il réitéra sa sèche saillie à trois reprises face aux relances du journaliste, tout en changeant brutalement de comportement. A ses côtés, Bolt s’était esclaffé.
Justin Gatlin pas loin de craquer :
Devant un journaliste américain, Gatlin fut également au bord des larmes après le 100 mètres (vidéo ci-dessus). Mais finalement, sa double médaille d’argent pourrait lui être profitable et rehausser sa cote auprès du public (le public chinois l’a d’ailleurs applaudi) : dans ces cas-là l’empathie prend souvent le dessus. Sacrée psychologie humaine, encore une fois ! « Je suis satisfait de mes performances ici. Je suis content d’être toujours là après une décennie et d’être capable de monter sur le podium » a-t-il indiqué, un brin mauvaise foi.
La magie opère de nouveau
Bolt, lui, a un peu plus assis sa place dans l’histoire de l’athlétisme (avant ces championnats, il co-détenait avec Carl Lewis le record, huit médailles d’or). Et la onzième pourrait venir ce week-end avec le relais 4×100 m. « Je ne suis jamais sorti deuxième au virage : je savais donc que je devais courir vite parce que Justin pouvait me voir. Je voulais aller le plus vite possible jusqu’au 150. Je pensais que celui qui serait en tête à ce moment là aurait course gagnée » souffla celui qui escompte encore « descendre sous les 19’’ » (son record du Monde, déjà bien haut perchée ; 19’’19). « Pour cela, je vais devoir m’employer la saison prochaine ».
Après la lassitude de ces titres attendus, la magie opère de nouveau. Et presque personne ne se demande comment il a pu passer du presque forfait début juillet à ce niveau de performance un mois et demi plus tard. Le bon, le méchant. Point. La magie opère de nouveau. Bolt électrise de nouveau la foule, complètement énamourée durant son tour d’honneur, où un segway le tacla –involontairement mais violemment. Même là, il se releva avec une désarmante assurance, et alla s’enquérir, entre deux facéties, de la santé de l’impétrant.
Même le segway s’est incliné face à Bolt :
https://youtu.be/hlbUMaiKUDs
Une bête de course. Et une bête de scène. Comme en conférence de presse, où les blagues fusaient de part et d’autres, notamment après l’épisode du segway. « Le cameraman m’a renversé. Il y a une rumeur –que je ne peux pas stoppée- qui dit que Justin Gatlin l’a payé (pour le faire tomber)…mais ça va, je vais bien ». « Je veux qu’il me rembourse. Il n’a pas fait le job » répliqua dans un éclat de rire l’Américain.
Usain Bolt, lui, l’a fait. Et ça continuera (au moins) jusqu’à Rio.
Photos : © Getty Images for IAAF