Inébranlable Usain Bolt
Usain Bolt a conquis son neuvième titre de champion du Monde, le 3e sur 100 mètres, à Pékin. Stratosphérique, d’autant qu’il y a un mois, d’aucuns pariaient que le Jamaïcain ne serait pas en lice en Chine, après son double forfait à Paris et Lausanne.
C’est pour ce genre de soirée que le sport est autant apprécié. C’est pour ce genre de soirée que l’on comprend mieux pourquoi le cinéma ne parvient qu’à capter quelques bribes des émotions que véhiculent le sport. Car la fiction ne dépassera jamais la réalité, et tout scénario, aussi bien ficelé soit-il, ne pourra jamais répondre aux canons du suspense et des moult rebondissements possibles qui peuvent se produire…en 9’79’’.
La pression est grimpée durant la journée. Le 100 mètres représente l’épreuve phare des championnats du Monde, car il renvoie au mythe de l’homme le plus rapide de la planète. La clameur s’était élevée des tribunes au moment des demi-finales, sur les coups de 19 heures, lorsqu’Usain Bolt apparaissait sur l’écran géant. Clameur redoublée avec la présence du Chinois Su.
Le Jamaïcain manqua alors de tomber dès les premiers appuis. Il glana son ticket pour la finale au forceps, en 9’’96. Alors qu’il n’y eut pas de miracle pour Christophe Lemaitre, éliminé, 6e en 10’’20. Bien que ça soit fesse soit « gainée » comme il en a sourit lors du point presse dans la semaine, difficile de rattraper le temps perdu en juin et juillet et ses deux blessures coup sur coup.
« Le niveau est exceptionnel. Il aurait fallu que je ne sois pas diminué. Je suis frustré car je n’ai pas été capable de sortir la grosse course qu’il fallait pour aller en finale. La blessure, le manque d’entraînement, de repères en compétition, tout çà fait que ce n’était malheureusement pas jouable. Je n’ai pas retrouvé les sensations de vitesse des championnats de France ».
Il garde tout de même espoir pour le 200 m, pour lequel il a indiqué dans la semaine viser un podium. « Je pense que ça m’a fait du bien de faire ce 100 mètres. Et ce n’est pas parce que j’étais à un niveau moindre sur 100 m que je vais renoncer à mes ambitions sur 200 mètres » se persuade l’Aixois alors que Justin Gatlin vient de passer. « Easy » répète à trois reprises celui qui vient de claquer 9’’77, dans la même veine que ce qu’il a réussit cette saison. Le voilà à 28 victoires consécutives, sur 100 et 200 m confondus. Comment peut-il échapper à la 29e, dans deux heures ?
Mais avant, troisième demi-finale. Et l’incertitude prédomine. Trois sprinteurs à égalité à 9’’99 pour les deux dernières places qualificatives au temps : pour la première fois de l’histoire, un sprinteur qui a couru en moins de 10’’ ne se qualifiera pas pour la finale.
Mais non. Si l’Américain Trayvon Bromell était sûr d’obtenir son sésame avec le départage au millième (9’’984), Vicaut et le Chinois Su, qui a battu au passage le record national, étaient eux toujours à égalité (9’’987). Heureusement que le tartan du Nid d’Oiseau comporte neuf couloirs.
Quelques instants avant l’annonce officielle, Jimmy Vicaut arborait une mine déconfite en zone mixte, croyant être éliminé. Il y a deux ans, à Moscou, il s’en était fallu d’un centième pour que Vicaut ne se qualifie pas pour la finale, au profit de Christophe Lemaitre. Le co-recordman d’Europe a donc échappé à la réitération de l’histoire, arrachant au cassé (qui lui a fait défaut dans la course) son billet pour une finale enivrante.
Salivante indécision
La tension monte d’un cran à l’approche de l’heure H. Les tribunes sont bondées, notamment au niveau de la ligne d’arrivée, qui offre une vue imprenable sur la ligne droite. Le Nid grésille, piaffe. Les Chinois chantent à la gloire de leur protégé. La tribune jamaïcaine réplique à coup de « Usain Bolt ». Ce dernier se glisse dans les starts, et se signe longuement. A quoi peut-il bien penser à ce moment précis, au paroxysme de la tension, lui qui a seulement quatre courses dans les jambes cette année, alors que Gatlin accumule les chronos stupéfiants ?
Au coup du start s’éternisent à peine dix secondes d’une salivante indécision. Gatlin ? Bolt ? Bolt ? Gatlin ? Bolt, au cassé, 9’’79 (le moins « rapide » de ses cinq titres planétaires sur 100 m). Un centième devant l’Américain. Sa joie dit toute la difficulté à laquelle il a dû faire face pour remporter ce titre. Il n’est plus dans la facilité et la facétie qui avaient accompagné ses premières années d’hégémonie. Mais il gagne toujours, avec une saveur qui l’avait fuie il y a deux ans à Moscou, où une certaine lassitude tendait à sourdre au fil de victoires devenues écrites à l’avance.
Il y a sept ans, en 2008, Usain Bolt avait fait son nid à Pékin, engrangeant son premier titre planétaire aux JO. Sept ans plus tard, l’histoire est la même. Mais le script, lui, diffère sensiblement.
Au passage, l’athlétisme mondial s’est évité, pour un centième, des heures de polémique supplémentaires si Gatlin, l’ex dopé plus rapide qu’avant suspension, l’avait emporté…
Quatre après être devenu le plus jeune sprinteur à disputer une finale mondiale (6e à Daegu en 10’’27), Jimmy Vicaut a pris la 8e en 10’’00, preuve que le niveau est considérablement élevé. L’apprentissage se poursuit donc, comme l’a relevé le co-détenteur du record d’Europe, qui tutoie le podium mondial – le Canadien Andre de Grasse et l’Américain Trayvon Bromell (ce dernier avait terminé dans le même temps que Vicaut en demies) se sont adjugés le bronze en 9’’92.
Photos : © Getty Images for IAAF