Camille Laplace, le bonheur retrouvé
Entretien avec Camille Laplace, qui a retrouvé son meilleur niveau et lorgne la qualification aux championnats d’Europe espoirs sur 800 m.
Il y a trois ans, en 2012, Rénelle Lamote et Camille Laplace avaient claqué 2’05’’ (1) sur le double tour de piste, se qualifiant toutes les deux pour les Mondiaux juniors de Barcelone. Depuis, les deux amies de l’Athlé Sud 77, coachées par Thierry Choffin, ont pris des trajectoires opposées. Si Rénelle Lamote n’a cessé de progresser saison après saison (lire ici), Camille Laplace a connu moult galères.
« Pff… ça a commencé avant les Monde juniors. J’ai eu un kyste au pied qui m’avait arrêtée 10 semaines, juste après les Europe de cross 2011 (elle avait terminé 60e, ndlr). Aux Monde, ça été assez difficile, on sentait que je n’avais eu d’hiver (éliminée en demi-finales). En septembre, j’ai eu une fracture de stress au gros orteil. Je me suis ensuite faite une désinsertion à la cuisse. Puis j’ai eu une carence en globules rouges. J’ai eu aussi quelques élongations. J’ai enchaîné, quoi… » énumère la demi-fondeuse de vingt ans, un brin las.
Les blessures physiques se sont doublées de souffrances psychologiques, bien plus délicates à surmonter. « Je ne l’ai pas mal vécu par rapport à Rénelle (qui franchissait des paliers dans le même temps). Elle a toujours été là quand je n’étais pas bien. C’est un peu l’effet de groupe qui a fait que j’ai tenu. J’ai eu des moments de doute. Quand j’essayais de revenir, et que je me refaisais mal ou que je n’avançais pas, c’était vraiment dur psychologiquement. C’était vraiment dur de voir les autres courir alors que moi je ne pouvais pas » explique Camille Laplace, encore marquée par ses chronos de 2013.
« Ma force, c’est la rage. L’envie de gagner, toujours »
« Ça été la pire année pour moi. Le plus difficile a été mon premier 800, de voir que je n’avais plus les mêmes capacités qu’avant, que j’étais avec des filles que je n’avais jamais vues avant car elles étaient derrière. C’était dur. Quand je fais 2’13’’, j’étais vraiment à fond (2’13’’33 le 1er juin 2013 ; son meilleur chrono de la saison 2013 : 2’11’’35 ; ndlr). Je me posais vraiment des questions ».
Mais la sociétaire de l’Athlé Sud 77 s’accroche. « J’ai cru en moi. Mon coach et mes proches étaient là. On m’a toujours dit de ne pas lâcher. Et puis ma force, c’est la rage. L’envie de gagner, toujours ». Un état d’esprit qui est sa marque de fabrique. « Mais je pense que je l’ai perdu à un moment donné » corrige t-elle. « Quand j’étais en convalescence, j’avais envie de tout déchirer. Mais quand je revenais et que je voyais que c’était dur, je doutais de moi. Je me suis dit : “Est-ce que j’en suis encore capable ?“ ».
L’année 2014 a apporté des bribes de réponse, avec une meilleure référence de 2’06’’15, une deuxième place aux championnats de France espoirs derrière Elise Pollini, avant une sortie de route aux France Elite (éliminée en séries). « Ses blessures en 2013 ont été un sacré coup d’arrêt. Elle est un peu revenue cette année. Donc c’est plutôt pas mal. Elle fait 2’06 mais elle aurait dû faire mieux que ça. Elle est passée à travers, ne se bat pas du tout alors que d’habitude elle est super combative » expliquait après les France Elite rémois Thierry Choffin.
Après de longues blessures, il faut se réaccoutumer à ces courses de haut niveau, où la tactique prédomine et où la confiance en soi est un atout substantiel.
« Pourquoi partir en stage si au final, c’est pour rater toutes les échéances importantes cet hiver ? »
Dans la foulée, cette saison, ses entraînements attestaient d’un retour à son meilleur niveau. Restait à confirmer en compétition, et l’hiver fut à cet aune délicat pour Camille Laplace. « Je voulais courir plus vite en salle (meilleur chrono : 2’06’’81). Les France Elite, qui étaient la grosse échéance, ont été une déception (éliminée en demi-finales), tout comme les France de cross (45e). Les championnats de France espoirs, ça a un peu rattrapé ces déceptions hivernales ».
A Nogent-sur-Oise, l’étudiante en L2 STAPS a conquis son deuxième titre national (championne de France cadette en plein air en 2011). Un tournant.
« Déjà je me suis pris une grosse gueulante à l’entraînement » sourit-elle. « On avait vraiment bien travaillé cet hiver. On était partis en stage (en janvier à Tenerife). Pourquoi partir en stage si au final, c’est pour rater toutes les échéances importantes cet hiver ? Je me suis remise en question ».
Thierry Choffin développe. « Elle court différemment et ça paye. En fait, elle part tout en contrôle, même si ça part assez vite. Mais elle reste un peu derrière, elle n’est pas agressive en début de course en essayant forcément de “tamponner“ les filles. Ce n’est pas qu’elle partait trop vite, mais elle était trop nerveuse. On a fait beaucoup de travail de relâchement, de course à 15’’-15’’5 aux 100 m, hyper économique, et elle peut de nouveau finir ses fins de course, au lieu de finir “super dur“ comme elle faisait avant. Je me suis rendu compte que ce n’était pas que des consignes, qu’il fallait le répéter à l’entraînement ».
« On recommence à partager des choses »
A Montgeron début mai, Camille Laplace a battu son record de 2012. 2’04’’77 et une 3e place. « ça a été un soulagement » avoue t-elle. « ça a tout redéclenché en moi : la conquête des records et tout ça ».
Le week-end suivant, elle claque 2’03’’85 à Oordegem. « Je dis depuis le début de l’année qu’elle doit faire 2’03’’. Elle les a enfin faits » souligne Thierry Choffin. « Si elle ne fait pas deux petites erreurs, elle fait moins de 2’03’’, c’est sûr. Ça vient, c’est bien. Je suis content pour elle, elle le mérite. Elle est extra, cette fille. Et le regard sur elle va changer un peu… »
Du genre, une de plus qui marchait en cadette avant de s’éteindre ensuite ? « Ouais, c’est un peu ça. Pendant 2 ans, elle a été retardée par les blessures. Il y a quand même un peu de doute qui s’installe, il y a ta copine qui s’envole un peu. Elle a un an de moins et elle a perdu deux ans par rapport à Rénelle, qui faisait 2’02’’40 en 2013 ».
Après une semaine light à l’entraînement, Camille Laplace a confirmé à Montbéliard vendredi 5 juin, réalisant 2’03’’81, nouveau record personnel. « Les deux ans qu’elle a peu ratés ne lui ont pas permis de construire la capacité à enchaîner des efforts intenses. Rénelle est capable de faire deux séances assez rapprochées, du jour au lendemain ou au surlendemain. Camille, ce n’est pas possible » expose Thierry Choffin.
Il faudra encore un peu temps pour acquérir ses dispositions. En attendant, les minima pour les championnats d’Europe espoirs (9-12 juillet à Tallinn en Estonie) ne sont plus très loin (2’03’’24 ; elle est actuellement 12e au bilan continental). Et le plaisir d’aller de nouveau vite est lui difficilement quantifiable. « Oui c’est sûr que j’apprécie. C’est un bonheur » souffle t-elle, avant de poursuivre. « Je pense que c’est un bonheur pour moi, et pour le coach aussi. On recommence à partager des choses. Avec Rénelle, quand on avait le même niveau, on partageait des compétitions. Là, on va recommencer à partager des choses avec les filles (Rénelle Lamote et Emma Oudiou) si je vais aux Europe espoirs. C’est vraiment bien. Même en séance, c’est toujours agréable. Car quand on est derrière et qu’on s’entraîne seule… »
(1) 2’05’’23 pour Rénelle Lamote : 2’05’’81 pour Camille Laplace.