Rénelle Lamote, la dimension internationale
Rénelle Lamote a franchi un nouveau cap en passant la barrière des 2’ sur 800 m. La voilà dans la cour des grandes. Entretien.
En ce moment, Fontainebleau, c’est « the place to be » pour la relève tricolore. Vous restez circonspect ? Dans le groupe drivé par Thierry Choffin (qui s’occupe des deux deux sections sportives, du pôle espoir, et est entraîneur à l’Athlé Sud 77) figurent donc Rénelle Lamote, Camille Laplace, Emma Oudiou (lire ici), Johanna Geyer-Carles (en retrait cette année, études obligent) Cécile Chevillard mais aussi Aisse Sow ou Azeline Martino, qualifiées chaque années aux France Elite.
Et côté masculin ? Alexis Bosio, passé tout près des championnats d’Europe de cross l’automne dernier, Benjamin Dupont, Mehdi Frere, proche des minima pour les Europe juniors sur steeple, les deux cadets acteurs d’un sprint fou aux France de cross, Louis Gilavert (3’51’’28 sur 1 500 m, et 5’47’’87 sur 2 000 m steeple, pas loin du record de France d’Anthony Pontier) et Yanis Khelaf (3’48’’69 ; les deux ont fait les minima pour les Mondiaux de la catégorie). Entre autres.
Dans un futur proche, d’aucuns athlètes pourraient bien venir chercher un bout de tartan au milieu des bois, dans le paisible cadre de Fontainebleau… « Je ne sais pas » sourit Thierry Choffin.
« Il faut contenter tout le monde »
« Si je ressens la pression ? Oui » souffle t-il dans un rire. « Même si comme le dit Bruno Gajer (manager du « sprint long » à la FFA et coach, notamment, de Pierre-Ambroise Bosse), on est un peu isolé dans notre forêt de Fontainebleau. ça, c’est pas mal. J’étais content quand je suis rentré dimanche, mais je ne sais pas si c’est le plus simple qui commence. On verra ».
Dimanche 24 mai, jour du second des Interclubs à Tours. La veille, Thierry Choffin accompagnait Emma Oudiou et Camille Laplace à Oordegem en Belgique. Lundi 25, direction Rehligen en Allemagne pour suivre Rénelle Lamote. « Il faut contenter tout le monde, tu ne peux pas ne suivre qu’un ou deux athlètes. Avec le boulot en ce moment (prof à l’ESPE), c’est un peu tendu » avoue l’ancien sprinteur (lire son portrait ici).
A Rehlingen, Rénelle Lamote a claqué 1’59’’39 sur le double tour de piste, devenant ainsi la 7e athlète française tout temps sur la distance (on n’était pas allé aussi vite sur 800 m depuis les 1’58’’67 de Hind Dehiba (1) en 2010), un chrono alors synonyme de 2e perf mondiale de la saison. « Elle ne va rester 2e mondiale, il ne faut pas trop se leurrer ni s’emballer » prophétisait Thierry Choffin. Bien vu. A Eugene samedi 30 mai, elles sont plusieurs à être passées devant au bilan mondial (elle est 6e à l’heure actuelle).
«C’est surtout dans la ligne de ce qu’elle fait à l’entraînement. Elle a progressé cet hiver dans certains secteurs mais ça ne s’était pas traduit en termes de chrono. Là, elle a poursuivi sur cette lancée à l’entraînement et c’est conforme. Après il faut le faire et c’est toujours compliqué » souligne le coach, qui met en exergue l’attitude de course de Rénelle Lamote, dont la joie à l’issue de la course fut rafraîchissante (vidéo ci-dessus).
« La Britannique (Lynsey Sharp, vice-championne d’Europe à Zurich, ndlr) coince un peu tôt. C’est bien qu’elle la passe aux 550 m. C’est là qu’on voit qu’elle progresse. Son 7e 100 m n’est pas top, elle se crispe un peu. Mais quand elle voit la ligne d’arrivée, on la retrouve un peu et c’est positif » analyse t-il.
« Dans les derniers mètres, je vois le panneau où il y a écrit en grand 1’56’’ » raconte la triple championne de France de la discipline (deux fois en indoor, une fois plein air). Je comprends que je vais faire moins de 2’ si je termine bien, et j’essaie donc de mettre un peu plus de fréquence. J’étais super contente et c’était un soulagement de commencer la saison comme ça. On a rempli cet objectif et le but va être d’essayer de descendre sous les 1’59’’ ».
« J’aurais l’air malin si elle gagnait deux secondes »
A l’image d’un certain Pierre-Ambroise Bosse, Rénelle Lamote présente une progression exponentielle, saison après saison : 2’05’’23 en 2012 (junior), 2’02’’40 en 2013 ; 2’00’’06 en 2014 puis 1’59’’39 –pour l’instant- cette année.
« Je suis quand même un surpris. Elle est super, vachement spontanée, et elle me disait : “tous les ans, je gagne deux secondes, donc je vais gagner deux secondes“. Je lui ai dit : “tu as fait 2’00’00, tu ne va pas gagner deux secondes tous les ans“. Et là, j’aurais l’air malin si elle gagnait deux secondes ! » raconte Thierry Choffin dans un nouveau rire (sa marque de fabrique, en sus d’être un coach à succès), et qui explique : « Elle va bien plus vite que l’année dernière ; elle est plus forte. Elle est encore plus résistante au niveau lactique. J’imaginais que la progression se ferait de manière un peu plus plate. Elle est étonnante là-dessus. Il y a deux choses. Elle s’entraîne plus : elle doublait une à deux fois l’an passé, là c’est pratiquement trois fois toutes les semaines ; soit deux séances de plus qui permettent de tout faire mieux, alors qu’elle fait de la musculation deux fois par semaine. Et avoir fait de l’indoor l’a quand même vachement aidé (record de France espoir lors de sa première sortie, ndlr ; lire ici) ».
« C’est aussi logique car on travaille énormément »
« Une partie de moi est surprise, mais d’un autre côté, c’est logique, car on travaille énormément. On a progressé un peu partout mais je sens que j’enchaîne mieux les séances. Je ne m’imaginais peut-être pas descendre si vite sous les 2’. Mais depuis que j’ai fait 2’02’’, je l’espérais au fond de moi. Il y avait le rêve olympique et je me disais qu’il fallait faire assez rapidement moins de 2’ pour espérer aller aux prochains Jeux » souligne celle qui a pris part aux relais Mondiaux aux Bahamas début mai, réalisant un gros 1 200 m (ces relais Mondiaux avaient constitué un déclic en 2014).
Pourtant, l’après championnats d’Europe indoor (début mars à Prague, éliminée en demi-finale) fut difficile. Après une coupure d’une semaine où elle en « a bien profité », Rénelle Lamote est tombée malade, avant de perdre un peu de temps en raison d’une blessure au genou. C’est lors d’un stage de deux semaines à La Réunion, ponctué par un 800 bouclé en 2’02’’40, « toute seule dans de mauvaises conditions » dixit Thierry Choffin, que la machine s’est remise en route. « J’étais en panique totale. Il n’y a rien de pire pour une athlète que de ne pas pouvoir courir, surtout quand tu t’es fixée des objectifs super intéressants. Mais j’étais bien entourée. Mon entraîneur m’a bien aidé à gérer le truc et c’est reparti assez vite ».
Désormais, l’objectif est de passer le cap lors des grands championnats. « A Prague, j’étais déçue de moi-même, mais je n’étais pas aussi bouleversée qu’à Zurich. Je ne passe pas en finale sur une erreur tactique mais je sentais que j’avais été dans la course. Alors qu’à Zurich, j’étais passée à côté de la course (lire ici) ».
« J’ai hâte de courir contre les meilleures »
Dans ce contexte, se familiariser avec les grosses courses, notamment en Diamond League ou World Challenge, lui sera profitable.
« J’ai trop hâte de voir s’il y a des progrès par rapport à çà, dans quelle partie de la course je vais me retrouver, devant pour me battre avec les meilleures, ou derrière comme à Monaco (en juillet 2014, où elle avait établi son précédent record : 2’00’’06, ndlr). Je n’ai pas peur. Au contraire, je n’attends que ça de courir contre elles » relève Rénelle Lamote, qui vient de remettre son mémoire (elle est en L3 management du sport, une filière STAPS) intitulé « Comment devient-on athlète de haut niveau ? » -simple coïncidence ou clin d’œil du « destin » ?!-, et qui prépare sa soutenance à l’oral (3).
« Le but sera de battre les autres filles » sourit Thierry Choffin. « Faire des courses relevées, courir pour les battre et donc le chrono suivra. Prendre de l’expérience au niveau tactique ? Ouais, c’est un peu l’idée : arriver à bien se placer, à forcer quand il faut, à maîtriser son dernier 200 mètres. Ce ne sont pas non plus des courses très très dures (au niveau tactique, ndlr) car ça va assez vite et il y a des lièvres. Mais il y a au moins de la confrontation, et maîtriser sa fin de course, ça serait pas mal. On voulait faire les minima assez tôt pour qu’elle puisse enchaîner deux trois compètes ».
Thierry Choffin interroge. « Est-ce qu’elle peut faire mieux cette année ? Pourquoi pas ». Peut-être dès Montreuil (mardi 9 juin), puis à Rabat (14 juin) et plus tard dans la saison. « Même si ce sont de très grosses courses, je ne vais pas les aborder comme à Monaco, où je savais que j’allais terminer dans les dernières. J’étais contente d’être là et il fallait que je m’accroche. Là, ça va être différent. Il faudra que j’essaie d’y aller avec l’intention de gagner, même si je ne gagne pas ».
Le record de France senior : « c’est encore une autre planète »
Le record de France espoir de Florence Giolitti (1’59’’32 en 1986) pourrait ainsi tomber. Et le senior, détenu depuis 1995 par Patricia Djaté et perché encore bien plus haut (1’56’’53) ? « C’est encore une autre planète, mais pourquoi pas, dans quelques années. Mais ce n’est pas du tout les objectifs que j’ai en ce moment. C’est encore dans le domaine du rêve » sourit Rénelle Lamote.
A court terme, il ya les Mondiaux de Pékin (22-30 août prochain). « Pour espérer déjà faire une bonne demi-finale, il faudra que je sois régulière sous les 2’ » se projette t-elle. Il faudra aussi gérer la planification, car le rendez-vous chinois est près de trois mois…
« On va penser la saison en deux parties. L’année dernière, on ne savait pas si elle irait à Zurich. C’était un peu dur, et les Europe étaient un peu au bout de la saison. On va faire un peu différemment. Elle fera une semaine très light en pensant un peu à autre chose, vers le 20 juillet (après les Europe espoirs, ndlr). Elle refera une course au mois d’août avant Pékin, ce qu’elle n’avait pas fait l’année dernière » expose Thierry Choffin, qui avait précisé un peu plus tôt, comme pour tempérer tout excès d’enthousiasme : « Il y avait les minima pour aller à Pékin, mais je luis redis bien qu’elle a quand même un premier rendez-vous avec les championnats d’Europe espoirs à Tallinn (9-12 juillet en Estonie). Il y a ça aussi. L’objectif sera de faire une médaille ou de gagner ».
Conserver sa ligne directrice, veiller à éviter toute sortie de route, car la forêt est immense, c’est aussi cela le rôle d’un coach.
(1) Hind Dehiba fut suspendue deux ans pour dopage, de 2007 à 2009.
(2) La Kényane Eunice Jepkoech Sum domine actuellement les bilans mondiaux, en 1’57’’82, réalisés samedi 30 mai à Eugene.
(3) Rénelle Lamote envisage de poursuivre par un Master l’année prochaine. « Je ne veux pas faire que de l’athlé sans diplôme. Si par exemple je me blesse, il me faut un plan B » sourit-elle.
Photo de une : Yves-Marie Quemener.