Athlétisme

Yohann Diniz, champion d’Europe du 50 km marche : un truc de dingue, à son image

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Poste Le 15 août 2014 par adminVO2

Yohann Diniz a marqué l’histoire de sa discipline. L’histoire des championnats d’Europe. L’histoire athlétique, tout simplement, en réalisant une performance hors du commun, à son image, conquérant son troisième titre continental, ce qui ne s’était jamais vu auparavant. Surtout, au terme d’une course diabolique, il a pulvérisé le record du Monde du 50 km, en 3h32’33’’ (ancienne marque : 3h34’14’’ par Denis Nizhegorodov en 2008) s’imposant devant Matej Toth, 3h36’21’’, et Ivan Noskov, 3h37’41’’. Récit.
Le sport est beau, et rien ne saurait le remplacer. Jeudi soir, l’incrédulité s’était emparée des tribunes du Letzigrund, lorsque Mahiedine Mekhissi s’est vu signifier sa disqualification après avoir ôté son maillot en finale du 3 000 m steeple. Le lendemain, l’athlé français a marqué l’histoire d’une autre manière, avec un autre Rémois. Une autre manière, mais tout aussi excentrique.7 heures du matin, on ouvre les volets : la pluie vient fouetter avec force les fenêtres. Une pensée survient : Göteborg, 2006, où Yohann Diniz était allé chercher son premier titre continental sur la pluie suédoise. Ça sera bien davantage que Göteborg 2006…
Il faut être fada pour se coltiner 50 km sous ce temps de chien, lorsque la pluie battante vient vous glacer le sang, les muscles, lorsque l’estomac disjoncte de la façon la plus crue. Yohann Diniz appartient à cette caste d’athlètes, de la trempe des « déglingos » le mot est choisit à dessin, mais il est loin d’être péjoratif. Fada pour se farcir 47 kilomètres en natation en une semaine -17 lors de deux sessions en un jour- lorsqu’il s’était fait une tendinite au moyen fessier en préparation terminale à Font Romeu. Sa fracture du calcanéum, contractée en février dernier, en escaladant un des murs du Creps de Reims (fermé, il voulait s’entraîner), sied bien à la personnalité du personnage, qui restait sur trois échecs en grands championnats (Daegu 2011, Londres 2012 et Moscou 2013).
« L’explication de ses échecs est aussi l’explication de ses réussites » résume Pascal Chirat, manager national de la marche, son entraîneur jusqu’à l’an passé et qui est toujours en excellent contact avec le Rémois. Le Rémois, qui n’a  jamais lâché l’affaire nonobstant ces claques.9 heures, Limmatquai, le long de la rivière éponyme sur ce tracé de deux kilomètres en aller retour. Ça flingue d’emblée avec les deux Russes Ivan Noskov et Mikhail Ryzhov, meilleur performeur européen de l’année –plus pour très longtemps. Parti prudemment dans un premier temps au sein du peloton, Yohann Diniz fait l’effort pour recoller devant. Il prend les commandes aux alentours du 10e kilomètre. Remake de 2010 à Barcelone où il avait fait cavalier seul ? Non, le Russe Ryzhov est au coude à coude. Derrière, la concurrence demeure redoutable avec le Slovaque Matej Toth (record personnel à 3h36’21’’) et l’Irlandais Robert Heffernan, champion du Monde l’an passé à Moscou.

Gilles Rocca, rémouleur psychique

Le doute s’installe. Alors que la pluie redouble d’intensité, le recordman du Monde du 50 000 m piste (3h35’22’’ en 2011 ; ça aussi, un truc de frappé) pose sa main au niveau du fessier, là même où il avait contracté une inflammation, traitée avec de la mésothérapie et de la natation, durant la préparation terminale. Il prend un antidouleur, qui va lui faire très mal à l’estomac quelques instants plus tard. Mais Yohann Diniz est conditionné à ce genre de problème. Il a effectué un très gros travail sur des variables négatives, avec son nouveau coach Gilles Rocca, ce rémouleur psychique, travailleur de l’ombre et discret -il se trouvait à l’autre bout du circuit durant toute la course- mais rouage essentiel depuis septembre 2013, en n’hésitant pas à lui dire « ses quatre vérités ».
Yohann Diniz s’agace, mais se remet dans sa bulle et repart au combat. Le dur labeur, quotidien, mené par Gilles Rocca, a payé. 26e km, il prend quelques mètres d’avance, l’allure s’accélère, autour de 4’20’’ au kilo. Présomptueux à ce stade de la course ? « Je pense » souffle Pascal Chirat. Du côté des ravitaillements, le médecin de la FFA Jean-Michel Serra et le kiné Frédéric Fauquenoi « préparent la pause plaisir » dixit le premier. A chaque tour, en alternance, le Rémois se ravitaille soit « avec une boisson isotonique (eau, un peu de sucre et de sel) », soit « une boisson un peu plus énergétique », sans oublier les barres chocolatées à partir du 24e. « ça lui rappelle sa jeunesse, au moment où on rentre dans le dur » sourit Jean-Michel Serra.

Entre le 28e et le 30e km, atteint en 2h09’14’’, Ryzhov prend six secondes d’avance. Autour du parcours, on parle alors « d’allures suicidaires ». Le rythme ne fait qu’accélérer : 43’42 sur les 10 premiers km, puis 42’51’’ entre les 10 et 20e, et 42’25’’ entre les 20 et 30e (puis 41’53 » et 41’21 » sur les 10 derniers). Mais Yohann Diniz ne s’affole pas. Il revient. Les contraintes extérieures n’ont pas (plus) de prise sur lui. « Quand le Russe a mis une « boule », Yohann n’était pas bien. Et c’est la première fois depuis longtemps qu’il a eu les ressources psychologiques et mentales pour revenir dans la course » confie Gilles Rocca. Diniz  domine son sujet. Un formidable mano-a-mano s’engage alors.

« Il est sur les bases du record du Monde mais il me demande où le Russe ! »

Ryzhov semble craquer. Yohann Diniz prend mètre après mètre. Il reste toutefois du temps. Passage au 38e : le vice-champion du Monde vient de marcher deux km en 8’16’’, soit 4’08 de moyenne au kilo ! « Je vais gérer » lâche t-il à Pascal Chirat au passage sur la ligne. Gérer ? Il ne sait pas faire. Il envoie du 8’11’’ sur le tour suivant. Haletant. « Yohann, il y a ce qu’il dit et il y a ce qu’il fait » reprend le manager de la marche, parfaitement lucide, cahier en main pour noter tous les temps de passage. Et qui, pour le connaître par cœur, sait ce qui se trame : Yohann Diniz va engranger son 3e titre continental.
Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’il marche vers une performance de très haute volée. 2h51’42’’ au 40e km. « Il est sur les bases du record du Monde ». Le mot est lâché. Le soleil perce. La pluie cesse. Les spectateurs s’agglutinent autour du circuit. L’ambiance monte, indéniablement. Les médias affluent. Tour suivant. « Il est sur les bases du record du Monde mais il me demande où le Russe » se marre Pascal Chirat. A plus de trois minutes…On prend la mesure de la performance : interdit, le manager du hors stade Jean-François Pontier regarde l’écran géant, sourire aux lèvres. « Chez lui, quand tous les paramètres sont réunis, il est imbattable » relève Laurent Heitz, co-entraîneur de Kévin Campion. « C’est un gros bosseur. Un acharné. C’est carrément fou » poursuit celui-ci. « Je sais qu’il était très fort : quand il l’est, il le dit. On ne pensait pas que les Russes étaient capables de battre le record du Monde car la barre était très haute. C’est la perf des championnats ».
Tout comme Kévin Campion, Antonin Boyez s’est remis de son 20 km de mercredi et abonde : « Yohann, il est capable de faire 15 bornes, puis 2h30-3 h de muscu et refaire 20 bornes le soir. Il peut s’entraîner pendant 4-5 heures dans la journée. A Reims aux championnats de France, je ne l’avais jamais vu aussi affuté, avec les muscles saillants ». Il reste quelques kilomètres ? Rien ne peut toutefois lui arriver, à part enlever son maillot…Il transpire la sérénité. Comme les jours précédents la course, où « il plaisantait » relève Gilles Rocca, submergé par l’émotion à l’issue de la course.

Extatique

Yohann Diniz est porté par le public, par ses jambes, par ses années de galère, par ses championnats ratés. Presque euphorique. Le « presque » est de trop. Il est encouragé à deux tours de l’arrivée. Se tourne vers le spectateur et lui crie sa joie dans un râle. Extatique. La course s’étire depuis plus de trois heures, mais on voudrait que le moment se prolonge…Yohann Diniz, aussi, sûrement. Encore 100 mètres. Le titre et le record du Monde lui tendent les bras. Petit drapeau bleu blanc rouge dans sa main droite, il s’arrête quelques secondes. S’énerve. On lui tend un drapeau portugais, en hommage à sa grand-mère (son grand-père est d’origine lusitanienne), décédée cette année. Il franchit la ligne, explose de joie après s’être (presque) contenu toute la course. Plénitude des sentiments. « Ça été une magnifique lutte avec les Russes. Je reviens de quatre ans d’un gros gros trou noir. Cette victoire, je tiens à la dédier, à ma sœur, ma femme, mes enfants, ma mère, mon père qui n’est pas là mais c’est son anniversaire. Je remercie aussi Jean-Michel Serra, il sait d’où je reviens, et mon entraîneur » clame t-il au speaker. Il doit bien oublier quelques personnes, mais l’essentiel n’est pas là.

Une demi-heure plus tard, en conférence de presse. « Je pense qu’il n’y plus grand monde qui comptait vraiment sur moi. On disait : “on sait que Yohann Diniz a le potentiel mais il passe à chaque fois à côté, ou il fait des chronos dans son jardin“. C’était une course d’homme à homme, et j’ai réussi à être présent. C’était très fort à Osaka en 2007 mais c’est incomparable avec ce que j’ai fait aujourd’hui ». C’est beau, simplement.

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