JO Londres: 3000 mètres steeple , Kemboi et Mekhissi, les duettistes du steeple
Ezekiel Kemboi et Mahiedine Mekhissi ont offert une très belle arrivée sur le 3000 mètres steeple, le Français très combatif pour aller chercher sa 2ème médaille d’argent, et le Kenyan toujours aussi amusant.
Les deux steeplers ont fait le spectacle! Soir de finale du 100 mètres. La planète toute entière n’a d’yeux que pour Usain Bolt. Les steeplers entrent en lice 30 minutes avant le big band. Pourtant même si aucun Anglais n’est en course, ils ne vont pas passer inaperçus. Ezekiel Kemboi se charge de l’animation. Il finit sa course en basculant du couloir 1 au couloir 8, il lève ses deux bras maigrelets en signe de triomphe, quitte son maillot pour dévoiler son torse de gringalet et esquisse quelques pas de danse. Comme à Daegu en 2011. Mais cette fois, Mahiedine Mekhissi lui donne la réplique, il le soulève dans ses bras comme un fétu de paille. Les deux hommes s’échangent les maillots, et partent pour leur tour d’honneur, Ezekiel Kemboi vêtu du maillot Equipe de France, avec le dossard affichant en grandes lettres Mekhissi Benabbad. Mahiedine Mekhissi dira plus tard: «A l’arrivée, on se prend dans les bras, car on s’aime. On n’a pas fait ça pour les images!» Toutes les télés veulent parler à ce duo qui ne se quitte plus, et Ezekiel Kemboi s’amuse devant tous les micros qui se tendent. Le Kenyan fait rire toute la salle de presse, pleine comme un œuf dans l’attente de l’arrivée de l’homme le plus rapide du monde. Mais Ezekiel Kemboi n’a aucun complexe, et il préfère répéter qu’on l’a souvent qualifié de «Mini-Bolt», pour cette danse qu’il répète à l’arrivée, ce torse qu’il dévoile, une copie de Mister Bolt. Ezekiel Kemboi est bien loin des clichés sur les athlètes kenyans, renfermés, peu expressifs. C’est un homme rigolard et volubile, qui aime se mettre en scène. Il s’amuse beaucoup à être questionné sur le risque qu’il prend à traverser les 8 couloirs avant l’arrivée comme il le fait: «Je sais ce que je fais. J’ai couru partout.» Et il énumère tous ses podiums depuis son titre de champion d’Afrique junior en 2001. Le fluet Kemboi affiche un palmarès dense, deux titres olympiques, deux titres de champion du monde, des médailles d’argent en pagaille, et une longévité exceptionnelle, de plus de dix ans. Mahiedine Mekhissi le connaît par cœur, et c’est à juste titre, qu’il souligne, avoir été battu par une légende du demi-fond. Avec un seul petit regret pour lui, celui de réussir à le supplanter en meeting, mais pas en championnat.Les deux athlètes sont de la même lignée, de ceux qui se subliment dans les grands rendez-vous, pour des médailles. C’est ainsi que Farouk Madacci explique la saison 2012 de son protégé, peu prolixe en chrono, mais pourvoyeur de deux belles médailles, un 2ème titre de champion d’Europe, et cette 2ème médaille d’argent. Mahiedine ne veut pas s’en contenter, il veut un titre mondial, il veut un titre olympique, et il avertit avec le sourire son compère, Ezekiel: «J’aurais ta peau!» L’avenir plaide pour lui, Mahiedine n’a que 27 ans, Ezekiel affiche 30 ans. Et c’est justement ce chiffre 30 que Farouk Madacci présente comme repère, l’âge d’or d’un demi-fondeur.A 30 ans, ce serait alors plus de 10 ans de haut niveau pour Mahiedine, depuis sa première qualification au Mondial juniors en 2004. Pour sa finale olympique de Pékin, Mahiedine était arrivé en position d’outsider, mais depuis, le Français est devenu l’une des bêtes noires des athlètes du Kenya. Ezekiel Kemboi ne le nie pas: «Mekhissi est très fort, il fait 3ème à Daegu, 2ème à Pékin et ici. Son entraînement est très fort. Dans l’avenir, nous devrons faire des calculs pour le bloquer.» Le scénario paraît avoir déjà été rôdé sur cette finale, et Mahiedine n’est pas dupe, estimant que les Kenyans ont basé leur course sur lui, attendant derrière lui : «Ils me craignaient. J’ai du respect pour eux, ils en ont pour moi. En finale, c’est le plus rusé qui gagne.»L’analyse est juste. Le petit «trou» à 300 mètres de l’arrivée, où il n’est pas tout à fait au contact de Kemboi à son démarrage, lui a coûté cher. Mais cette erreur survient parce qu’il a été heurté au genou dans la chute de Kipruto dans l’avant-dernier tour, ce qui le perturbe un moment : «Je me suis concentré sur mon genou. Je suis sorti de la course.»Cela lui a-t-il coûté la médaille d’or? Mahiedine ne veut pas s’attarder à de tels regrets, conscient d’avoir frôlé le pire, 4ème à 100 mètres de l’arrivée, pour terminer 2ème, et certain d’avoir tout donné dans cette course qu’il finit épuisé et radieux d’avoir confirmé son rang de Pékin. Les deux hommes forts de son entourage, Rachid Esmouni, son manager, et Farouk Madaci, son coach, l’avouent, ils ont eu une petite crainte à l’encontre de ce résultat: «Le premier sentiment ressenti a été qu’il venait pour l’or. On a eu peur qu’il soit déçu avec l’argent. Mais on a vu à sa réaction qu’il était content.»L’image de ce grand bonhomme levant dans ses bras cette petite silhouette, tous les deux les yeux brillants, et le sourire radieux, parlait toute seule.
Odile Baudrier / Gilles Bertrand