JO de Londres: l'absolu bonheur de Mo Farah, inoubliable !
Il y a des instants que l’on croit inoubliable, pour la vie, à jamais, greffés comme un implant, tatoués dans le cuir, rivés de mille boulons.Ce 10000 mètres sera inoubliable. C’est tout au moins le sentiment de chacun des 80000 spectateurs qui ont porté dans leur main, comme un bijou scintillant, cette ronde infernale, comme lorsque l’on kidnappe entre ses doigts, un scarabée dorée, merveille de beauté et de finesse.Mais quel 10000, à faire hurler tout un peuple levé comme une armée pour porter dans son cœur, dans ses tripes, ce coureur exprimant toute la grâce à lui seul. Cette fluidité absolue, comme aspiré par le souffle des dieux, cette élégance princière qui anoblie le geste simple de courir, qui le fait roi sur un trône porté de 160000 mains. Une offrande.Mo Farah, un prénom, une syllabe que l’on peut scander à l’infini. Un nom, deux syllabes, deux voyelles semblables pour mieux marteler ce nom, à l’envie, dans l’hystérie. Ce 10000 fut hystérique dans un stade branché sur les plus hautes tensions. Une course de rêve qui s’est construite avec le temps bien avant le coup de pistolet. Dans cette parfaite dramaturgie que le sport peut construire lorsque hommes ou femmes ont le caractère pour jouer les grands rôles.Des duels écrits sur le papier, le retour de Bekele, le duel Bekele – Farah, le couple Farah – Rupp, le commando kenyan qualifié en terre américaine, quel serait l’issue finale, fatale?Elle fut fatale pour Kenenisa Bekele qui alourdi, ayant perdu cette élégance, cette touche de pied fut incapable de se laisser glisser dans le bon courant lorsque la bataille fut rare, laissant filer son frère Tariku, vers une médaille qui lui était destinée.Elle fut viscérale lorsque Mo Farah, doublé de Galen Rupp son compagnon d’entraînement, se lança à l’attaque de la pointe sommitale. Dans ce cratère en éruption, crachant des décibels à rendre sourd une rock star. MO, MO, MO, MO, MO….avec les majuscules pour célébrer la beauté absolue. Ce que le corps humain peut avoir de plus beau à proposer lorsqu’il s’agit de se propulser avec ces seules jambes. Sans artifice, sans autre carburant que l’air et le sang. Mo Farah champion olympique, Galen Rupp comme dauphin, comme un père et son fils, ont réussi le possible. A force d’abnégation, de méthodes planifiées, d’embrigadement, dans une démarche absolue. Vaincre aux côtés d’un entraîneur fou, Alberto Salazar, un homme au sens aigu de l’honneur et du devoir.Ce fut la victoire sur l’Afrique, est-ce anecdotique? Non, c’est un virage, un grand tournant, une espérance pour toute une nouvelle génération de coureurs, pour faire sauter les complexes et piétiner les idées reçues. Cette victoire, elle est celle d’un système privé au sein d’une structure professionnelle mais passionnelle. Cette victoire de ce duo enlacé dans la sueur, dans les pleurs, c’est l’absolu bonheur. Ce fut inoubliable, c’est inoubliable.
Odile Baudrier Gilles Bertrand