Rencontre avec Yohan Durand, en préparation pour le marathon de Paris
Après une première partie de carrière sur la piste, Yohan Durand, 29 ans et titulaire d’un record de 13’17’’90 sur 5 000 mètres (2012), a décidé de monter sur marathon, las de moult blessures au tendon d’Achille ayant entravé sa progression. Il fera ses débuts ce dimanche 12 avril lors du marathon de Paris. Nous l’avons suivi lors de l’une de ses dernières grosses sorties longues, chez lui à Bergerac. Rencontre.
Dimanche 22 mars, 9h30, à Monbazillac, village sis en surplomb de la vallée de la Dordogne, et davantage réputé pour son vin blanc que pour ses marathoniens. De chez ses parents, direction le canal, à une quinzaine de minutes en voiture, théâtre des grosses séances. Les 1 000 ou 2 000 mètres au « carton », avec indication tous les cent mètres, c’était ici.
Mais ça, c’était avant. Désormais, place au marathon. Pierre Messaoud, qui coache Yohan Durand depuis ses débuts il y a 15 ans dans la foulée de bons résultats aux cross UNSS, est présent, vélo à ses côtés.
Au menu, 35 bornes, après les 37 du dimanche précédent, où le Bergeracois s’est remis en selle après avoir un brin douté, aux France de cross (abandon) puis au semi de Paris (lire ici).
« Il est en forme » sourit Pierre Messaoud. Nous sommes à trois semaines pile du marathon de Paris. « J -21 ! » relèvera Yohan Durand pendant la séance. Les jours du calendrier de l’avant marathon s’égrènent…
Il faut « borner », mais pas trop. Trouver le curseur adéquat alors que l’échéance approche. Ce sera donc 13 km d’échauff (au lieu des 16 un temps envisagés) à environ 16 de moyenne puis 5 km – 1 km récup – 10 km – 1 km récup et enfin 5 km, suivi d’un kilomètre de retour au calme. Le tout à l’allure marathon, ou un chouia au-dessus…
Enfer du Nord, ravitaillement et simulation
Les bidons sont prêts, les affaires pour se changer dans le sac ; le duo s’élance. Avec un invité surprise, le vent qui balaie la petite route cabossée sillonnant le canal.
13 km pour se mettre en jambes, donc, en guise de pré-fatigue. Le tempo augmente progressivement, 15-16 à l’heure. Bientôt 10 km. On attaque un chemin qui s’apparente davantage à une prépa trail qu’au marathon. « C’est Paris Roubaix » sourit le Bergeracois. Dans quelques jours, un peu plus au Nord que sa Dordogne natale, il espère intérieurement que « l’Enfer » du macadam sera pavé de succès…
Pierre Messoud dispose régulièrement un bidon le long de la route. On simule, on répète, inlassablement. Chaque petit détail compte. Et l’hydratation en course est plus qu’un détail. Il est communément admis que sur marathon, 1% des pertes en eau, c’est 10% de performance en moins. Boissons énergétiques, dans un premier temps, en espérant que le Monbazillac d’après course aura une saveur particulière…A peine 500 m effectué sur le chemin cahoteux et demi-tour. La prépa trail attendra bien quelques années !
La montre vocifère. 13e km, arrêt aux stands. On change le châssis, et les pneumatiques. Débardeur de compète –la température est idéale-, et chaussures qui le sont tout autant. 195 grammes, le grip idoine pour accrocher et dynamiter le macadam.
Premier 5 km. « Ça va ? » s’enquiert le coach. « Ça va. On a ralenti un peu » répond Yohan Durand, qui « checke » l’allure avec sa montre.
A mi-parcours, on évite le dangereux croisement avec la route. Yohan Durand entame un détour sur un parking et repart de plus belle. 15’24’’, ça roule, mieux que les 3’07’’ de moyenne prévus.
« Tu essaies de ne pas t’éteindre »
« On respecte les allures. Ce n’est pas le but d’aller trop vite » indique Pierre Messaoud avant le 10 km. Objectif 3’08 – 3’09’’.
Les kilos s’enchaînent. Un peu plus de la moitié des 10 bornes est réalisé. Cette fois-ci, pas de parking. Il entame une légère courbe, stoppe brièvement le chrono et reprend sa marche en avant. Le vent a tourné, tourbillonne. « J’ai l’impression d’avoir tout le temps le vent de face ! » semble t-il s’agacer. « Mais bon, il faut s’habituer ». Comme un écueil supplémentaire auquel il faut s’accoutumer.
Vent de face ou pas, la foulée de Yohan Durand ne s’altère pas. Seule sa mèche ne semble pas s’y habituer. Ça bipe. Pierre Messaoud se renseigne sur les allures. « 3’08’’ ». Métronome.
A quoi pense t-on dans ces moments ? Se voit-il fendre les avenues parisiennes, qu’il doit connaître par cœur –le parcours du marathon a pris une bonne place dans sa salle de bains- ?
Plus prosaïquement, il s’évertue à « penser au relâchement, à la qualité de la foulée pour qu’elle soit le moins dégradée possible avec l’effort. Après, c’est vrai que c’est un peu long, je suis vachement dans des calculs. Je regarde les kilos sur ma montre et je fais des additions. Sinon, tu ne penses à rien. Tu n’es pas en souffrance comme quand tu fais 3×2 000 pour préparer le 5 000, où tu résiste à partir du 1 000. Là tu t’éteins petit à petit et tu essaies justement de ne pas t’éteindre » expliquera t-il après-coup.
« 3’00’’, ce n’est plus de l’allure marathon ! »
De l’autre côté du canal, sur la route principale, un coup de klaxon. On l’encourage. Un signe de la main en guise de remerciement ; Yohan Durand est ici chez lui. La mécanique est fluide. Pas besoin d’huile pour graisser le tout. 31’15’’ environ, il est dans les clous.
Dernier 5 km. Le compteur oscille entre les 19,5 et 20 à l’heure. L’impression de facilité est patente, même si le souffle se fait plus audible sur la toute fin. Alors en 3’05’’ et quelques, l’allure du vélo s’intensifie insidieusement, dans la foulée d’un léger faux plat descendant. Le bip retentit. « 3’00’’, ce n’est plus de l’allure marathon ! » vitupère t-il. Au moins, il aura bossé le changement d’allure…
Seul frayeur de la matinée, un bidon tombé et un télescopage évité de peu entre le coach et l’athlète.
« Honnêtement, avec le rendu de la route et la semaine d’entraînement, c’est intéressant » note Yohan Durand, qui attaque le dernier km en récup.
Car ce n’était pas « le billard » de la piste cyclable autour de Gujan-Mestras, lieu principal de ses deux derniers mois de préparation et où la sortie était initialement prévue. Mais la veille, il y avait l’anniversaire d’une amie.
Il n’avait pas prévu de s’y rendre pour « se concentrer sur la séance ». Finalement convaincu, ce fut l’un de ses seuls écarts en trois mois d’une préparation très professionnelle (lire ici l’interview). Peut-on cependant parler d’écart ? Se changer les idées, s’échapper quelques heures de son objectif est aussi bénéfique. Bref, la séance s’est heureusement bien passée…
Ce fut donc une sortie « intéressante ». Doux euphémisme au regard des allures…ou bien l’humilité du néo-marathonien ? Qui se montre prudent, sans doute en raison de la lancinante accumulation des pépins physique depuis deux ans, mais aussi de la nécessaire appréhension de sa nouvelle distance.
Plus tard, lors de l’interview, il décryptera cette crainte. « Ça me paraissait encore inimaginable il y a un an que je fasse 37 bornes de footing avec une séance dedans ». D’où la sempiternelle volonté d’en faire un peu plus, comme pour s’octroyer un surcroît de confiance, bien que la forme soit là.
« Je rajoute dans mon coin » sourit-il. « Et je le dis après à Pierre. Je suis parfois un petit peu trop rapide par rapport à ce qu’il voudrait sur les allures de footing. Ou je vais remplacer un footing de 45’ par une heure. Mais les séances types, je respecte vraiment ce qu’il dit » se marre t-il.
« Tu prends un gros plaisir »
Le vice-champion d’Europe espoir du 1 500 m en 2007 revient vers les voitures. « Il me reste 20 mètres » sourit-il en direction de Pierre Messaoud. « Avant, on ne faisait pas 100 ou 150 m de plus pour terminer le kilomètre » rit le coach, satisfait de la séance « Nickel. Maintenant, on réduit le kilométrage. C’est de l’affûtage ».
Total final ? 36 km. « Plus que six ! » lance à la cantonade Yohan Durand. Calculer, se jauger, s’estimer, toujours à l’aune de cette distance apprivoisée et touchée du doigt par ses bornes sans cesse enchaînés, mais pas encore encaissée d’un trait. Comme pour effacer le doute sur sa capacité à tenir les 42,195 km. La confiance a cependant augmenté. Sensiblement. « Le fait de se dire qu’il y a un an, je n’étais pas capable de faire ça ; de le faire avec aisance, et beh tu prends un gros plaisir ».
Il y en aura bien eu 160 km la semaine suivante (entre 21 et 15 jours avant Paris), même s’il comptait initialement en faire plus. Yohan Durand a cependant –et sagement- écouté les conseils réitérés de ses potes marathoniens Benjamin Malaty et Yannick Dupouy, ainsi que ceux de son entraîneur Pierre Messaoud, lui-même marathonien (2h33’42’’ à Paris en 2007), et « canaliseur » d’énergie.
Car ce dimanche 12 avril à Paris, la fraîcheur -mentale et physique- sera essentielle.
Photos : Q.G