Championnats d’Europe de cross : une sélection qui a fait débat
La sélection pour les championnats d’Europe de cross, dévoilée la semaine dernière et finalisée mardi 1er décembre, avec l’ajout de Riad Guerfi en tant que 6e qualifié chez les seniors à l’issue du cross de l’Acier, a suscité de nombreuses réactions dans le microcosme athlétique. Philippe Dupont, manager du demi-fond tricolore, et chargé de proposer la sélection à la DTN, s’explique longuement. Débat intéressant.
Une sélection sans polémique ne serait sans doute pas une sélection ! Si celle ayant trait aux Europe de cross a agité le landerneau athlétique, elle implique surtout, comme le souligne le manager du demi-fond français Philippe Dupont, joint vendredi dernier au téléphone alors qu’il se trouve au Portugal en stage avec son athlète Mahiedine Mekhissi, quelques cas particuliers. «Ça concerne toujours les deux ou trois personnes qui sont 6e et qu’on n’est pas obligés de prendre. Les gens qui disent que les cross de sélection ne servent à rien, ce sont souvent le papa, le coach ou le président de club du 6e ». Pas faux. Mais les vives réactions suscitées mettent en exergue un décalage manifeste entre la politique fédérale estampillée haut niveau, et les clubs en général.
Chez les seniors, presque tout est limpide
Résumé. Du côté des seniors, presque tout fut limpide. Le mode de sélection était le suivant : les quatre premiers des cross de sélection (« Sud Ouest » à Gujan-Mestras pour les femmes ;« Maine Libre » à Allonnes pour les femmes) automatiquement qualifiés, il restait deux tickets à attribuer.
Chez les hommes, Hassan Chahdi, 5e à Allonnes a pris d’emblée l’un d’entre eux. « Hassan n’était pas à son meilleur niveau sur ce cross là. Il était un peu souffreteux. Le fait d’être dans les cinq est quand même rassurant par rapport à l’équipe. Le fait d’avoir coupé quasiment trois semaines en octobre, c’était un peu court pour Allonnes (problème au genou) ».
Anouar Assila
Il restait à attribuer une place (Florian Carvalho, hésitant, courra bien à Samokov) à l’issue du cross de l’Acier dimanche 30 novembre. Et elle fut dévolue à Riad Guerfi, 3e Français à l’Acier.Bryan Cantero, 6e à Allonnes et crédité du même temps que Chahdi, aurait pu aussi y prétendre. « Ce qu’on recherche sur un 6e bonhomme, c’est une plus-value pour l’équipe de France. Bryan n’a pas de résultats en cross dans le passé qui justifie qu’il est incontournable dans cette équipe. Même s’il a fait une bonne course à Allonnes, il était avec un Hassan Chahdi qui est diminué. Et je ne suis pas sûr que le second groupe était très bien ce jour là ». D’autre part, le premier objectif de l’Aixois concerne les Europe indoor (6-8 mars à Prague). « J’ai souhaité attendre le week-end prochain » relevait au bout du fil Philippe Dupont vendredi 28 novembre, qui n’était donc pas présent dans le Nord. Pas dommageable ? « J’ai suffisamment de gens qui sont sur place et qui pourront me donner des indications (notamment Irba Lakhal) »répondait-il.
Les cinq premières du cross « Sud Ouest » qualifiées
C’est donc Riad Guerfi qui sera finalement du voyage en Bulgarie. L’athlète coaché par Jean-Baptiste Congourdeau, qui avait abandonné à Allonnes, revient en équipe de France après trois sélections en 2012 – 2013 (39e des Europe de cross en 2012, abandon à la coupe d’Europe du 10 000 en juin 2013, 5e des Jeux Méditerranéens sur 10 000 m fin juin 2013). Il a été préféré àAnouar Assila, qui semblait pourtant plus régulier ces derniers temps (vice-champion de France de semi-marathon à Saint-Denis, 14e et 7e Français à Allonnes, 21e à quatre secondes de Guerfi à l’Acier).
Sophie Duarte
Chez les femmes, les cinq premières du cross gujanais ont directement été sélectionnées, alors que Sophie Duarte, championne d’Europe en titre et en lice à Allonnes, héritait automatiquement d’un des deux tickets à la discrétion de la DTN. Simultanément se déroulait l’Ekiden de Chiba au Japon. Malencontreux pour les quatre féminines qui s’y sont rendues et pour le niveau général du cross sélectif (Claire Perraux, Ophélie Claude-Boxberger,Laure Funten-Prévost et Floriane Chevalier Garenne) ? « Je ne suis pas sûr que ça aurait changé grand-chose en terme de niveau. Pas sûr que Perraux et Boxberger soient nettement meilleures ou apportent une grosse plus-value par rapport à Laubertie. S’il y avait matière à, c’est tant pis pour elles, car ce sont elles qui ont fait le choix d’aller à Chiba. Celle qui avait peut-être le plus à gagner, c’est Ophélie Boxberger. Oui, elle semblait pas mal. Elle est dans une période de progression, et a envie d’intégrer l’équipe de France depuis un ou deux ans. Au moment où elle pouvait le faire, elle va à Chiba. C’est peut-être une erreur stratégique pour elle, mais elle a peut-être voulu assurer un truc » souligne le manager du demi-fond. Ophélie Claude-Boxberger expliquait justement avoir faire le choix nippon (lire ici).
Romain Collenot-Spriet : sélectionné…puis retiré
D’aucuns n’ont pas compris la sélection chez les espoirs et juniors masculins, où le mode de qualification était le suivant : les deux premiers du cross sélectif de Gujan-Mestras automatiquement qualifiés et les quatre autres à la discrétion de la DTN.
Chez les espoirs, Romain Collenot-Spriet avait choisi de s’aligner à Allonnes. « Je cours pour le plaisir, et le challenge de courir avec les meilleurs crossmen longs seniors me réjouit. J’ai hâte de me battre et j’ai les dents aiguisées comme jamais. Les Europe ne sont qu’un objectif secondaire, on verra dimanche ce qu’il en adviendra » se justifiait-il sur sa page facebook avant le cross sarthois.
Romain Collenot-Spriet
Le Blésois avait finalement abandonné, notamment handicapé par « un point de côté »contracté « dès les premiers hectomètres ». Le lendemain, lundi 24 novembre, nouveau post sur sa page, où l’outrecuidance de son message le dispute à la fatuité de ses propos.
Il annonce sa « participation aux championnats d’Europe, la Fédération (l)’ayant convaincu de participer, malgré (s) réticence et (s)a non-préparation pour cet évènement ». « Fort de mes quatre participations à ce championnat, finissant à chaque fois premier Français (11e puis 4echez les juniors ; 5e puis 14e chez les espoirs, ndlr), la fédération a jugé indispensable que je sois dans cette équipe et m’a convaincu de venir » poursuit-il, entre autres, avant de supprimer ce post dans la soirée, après de multiples commentaires, certains vindicatifs, notamment de Jean-Baptiste Congourdeau, coach de Julien Samson, 6e espoir à Gujan-Mestras.
Mardi 25 novembre, la sélection officielle tombe et Romain Collenot-Spriet n’y figure pas. Sanction ? « Il n’a pas été sélectionné, c’est tout ce qu’on peut dire » glisse Philippe Dupont. Après hésitation, il ajoute : « Le fait de lire sur une page facebook qu’on n’a pas forcément préparé cet évènement là, ce n’est quand même pas très adroit de sa part. Je n’ai pas parlé de sanction, j’ai dit que ce n’était pas adroit de sa part ».
« 27 athlètes sur 32 ont été sélectionnés sur les cross sélectifs. Que l’on ne nous dise pas que les cross de sélection ne servent à rien ! »
Le top 5 au cross girondin est sélectionné, alors qu’Alexandre Saddedine, bien qu’ayant abandonné à Chante-Cigale, figure parmi les six sélectionnés, au détriment de Julien Samson, 6eespoir à Gujan. Dans les deux cas, n’est-ce pas donner le « mauvais exemple » en sélectionnant un athlète ayant abandonné ?
« Primo, les modalités de sélection nous permettaient de faire ce qu’on voulait. On est en accord avec celles-ci. J’invite tous les gens à les lire car chaque année, sur les championnats d’Europe, tout le monde se libère là-dessus. Secundo, j’ai entendu dire que les cross de sélection ne servaient plus à rien. Mais 27 athlètes sur 32 ont été sélectionnés sur les cross sélectifs. Que l’on ne nous dise pas que les cross de sélection ne servent à rien ! » s’agace Philippe Dupont, qui explique.
« Tertio, bien sûr que ce n’est pas agréable de prendre quelqu’un qui a abandonné. Quand je fais une composition d’équipe pour un championnat, en plus collectif, et c’est ce que je me tue à dire, l’objectif prioritaire est le collectif. Qu’est ce qui a de choquant entre prendre Saddedine et le 6e du cross de sélection, qui n’est pas plus sélectionnable en termes de modalité que le 20e de la course ? Il va falloir qu’on s’habitue à bien lire les modalités en France. Il n’est pas non plus question de faire n’importe quoi mais de faire la meilleure équipe possible, ou l’équipe que l’on pense, à un moment, la meilleure possible, sans déroger aux modalités de sélection On estime, j’estime –et c’est ma responsabilité, en ayant discuté avec mes adjoints ou autres-, que Saddedine, qui a déjà fait dans les 30 premiers d’un championnat du Monde de cross junior (29e en 2013, ndlr), et 6e d’un championnat d’Europe de cross junior (à Belgrade l’an passé, ndlr), a plus de chances d’apporter une plus-value à l’équipe que Samson, qui n’a jamais été dans une équipe de France et qui est à près de deux minutes du premier espoir lors du cross de sélection (29’56’’ pour Youssef Mekdafou ; 32’21’’ pour Julien Samson, ndlr) ».
« Il ne faut pas non plus avoir d’état d’âme »
L’incompréhension est pour certains plus forte chez les juniors, où Alexis Bosio et Léo Fontana, 5e et 6e, n’ont pas été sélectionnés, au profit de Maxime Hueber-Moosbrugger et Mehdi Belhadj, respectivement 7e et 9e à Gujan-Mestras. « C’est surtout leur montrer l’éthique du sport, nos valeurs. C’est un peu dur à admettre quand tu es jeune car tu es devant, mais on prend celui qui s’est fait battre » disait ainsi Florian Carvalho.
« Sur les juniors, c’est exactement la même chose » expose Philippe Dupont. A savoir que les deux derniers cités, qui faisaient partie de l’équipe championne d’Europe l’an passé (respectivement 16e et 14e), ont davantage de chances d’apporter une « plus-value » compte tenu de leur pedigree (Hueber-Moosbrugger est aussi et notamment double champion de France cadet de cross ; Mehdi Belhadj champion de France junior sortant et finaliste aux Mondiaux juniors sur steeple l’été dernier). A Gujan-Mestras, l’épreuve faisait en outre « 13, 14 minutes », soit environ cinq de moins qu’aux Europe, « et ce n’est pas ce qu’on veut » relève Philippe Dupont (l’organisateur n’a pas voulu rallonger la distance). « On a proposé ces modalités car elles nous permettent de faire ça. Je n’ai pas dit que c’est quelque chose qu’il faudrait systématiser. J’assume et je tirerai la responsabilité de ça. Si ces mecs là ne sont pas bons ça serait emmerdant, mais je n’en suis pas sûr ».
Alexis Bosio (dossard 18), ici à Pacé en 2013, n’a finalement pas été sélectionné
Oui, les modalités sont respectées. L’état d’esprit, lui, beaucoup moins. « Il ne faut pas non plus avoir d’état d’âme. J’ai une formation de prof d’EPS et d’éducateur, donc je respecte tout ça. J’ai une vision qui n’est pas la même que certains entraîneurs de club, qui sont à un moment dans le social et l’affectif à outrance » rétorque Philippe Dupont.
« Mais on va où ? »
« Quand on ne prend pas ces deux juniors, on nous reproche de ne pas faire plaisir à deux athlètes qui l’auraient mérité. Quand tu entends ces termes là –“faire plaisir“-, tu n’es pas du tout dans le haut niveau. Le haut niveau, c’est la prise de risque, c’est oser. Les sélections, c’est toujours dans l’intérêt de l’équipe. Il n’y a pas de copinage. J’ai reçu un ou deux trucs où on parle de trucage, de sélection faite à l’avance, mais les gens qui disent ça n’ont rien compris et ne savent pas ce que c’est du sport de haut niveau ».
Bryan Cantero
« Moi » reprend l’ex coureur de 800, « je suis là pour faire des équipes de France les plus performantes possibles. On n’est pas dans un monde de bisounours.J’ai entendu : “Vous vous rendez-compte, vous allez choquer ces jeunes, ce sont des traumatismes pour l’avenir“. Mais où va où ? S’ils sont traumatisés sur des choses comme ça, ce ne sont pas des athlètes qui sont formatés pour faire du haut niveau, un jour. Quand tu l’es, tu fermes ta “gueule“, tu sais que tu n’a pas fait dans les deux premiers (directement qualifiés, ndlr), et tu retournes au charbon. C’est tout. Il n’y a rien de choquant. Je ne comprends pas que l’on remette en question le système tous les ans. Le 6e n’a le droit à rien, c’est marqué nulle part ».
Dissonance entre la FFA et les clubs
Le nœud du problème se situe sans doute ici. On perçoit un décalage patent entre la politique de la DTN centrée sur l’élite, et la majorité des clubs, où les entraîneurs, au quotidien, n’ont pas les mêmes ambitions. « Oui. Je pense que beaucoup d’entraîneurs de club découvrent le haut niveau avec ces athlètes là, ou plutôt l’accession au haut niveau. Il y a un décalage avec des gens qui connaissent les modalités, avec des gens qui ont des objectifs qui sont en accord avec nos objectifs sur des équipes de France jeunes, et puis avec d’autres qui sont presque dans la découverte du haut niveau avec leurs athlètes, qui ne sont pas formatés à çà, qui sont dans des clubs et qui ont aussi –je le comprends- un souci d’éducation ou de valeurs ».
On insiste. Le coach de Mahiedine Mekhissi perçoit-il cette divergence ? « Oui, je la sens avec beaucoup d’entraîneurs. Ce n’est pas péjoratif : chaque entraîneur fait son boulot et heureusement que nous avons des entraîneurs dans les clubs qui forment des athlètes. Mais il y a sûrement un décalage, parce qu’à un moment il faut être dedans pour avoir cette vision des choses. J’ai eu ce parcours. Je viens d’un petit club dans la Sarthe (Js Allonnes) où c’est mon entraîneur d’Allonnes qui m’a formé et qui m’a emmené jusqu’aux Jeux. J’ai toujours été admiratif car mon entraîneur a toujours été curieux. Il n’a jamais été revendicatif » souligne Philippe Dupont, convoquant une anecdote personnelle.
« ça, c’était bien plus scandaleux »
« En 1980, quand je vais aux Jeux Olympiques à Moscou, on m’a refait faire les minima trois fois. Trois fois » répète t-il. « Je les ai faits une fois. On m’a dit : “Dupont, ce n’est pas assez, il faut les refaire“. Je les ai faits une deuxième fois, toujours avec Roger Milhau, à Saint-Maur. A l’époque, José Marajo était le boss du 800 m français. Il n’avait toujours pas fait les minima, il sortait de blessure l’hiver. 15 jours avant les Jeux, on nous a fait recourir une 3e fois, avec Marajo. Je crois que c’était la première course qu’il faisait de l’année car il fallait qu’il fasse un test avant les Jeux. On a refait les minima, terminant tous les deux devant lui, et on nous a emmenés (à Moscou, Philippe Dupont a passé les séries puis a été éliminé en demi-finale, tout comme Roger Milhau, alors que José Marajo s’est classé 7e de la finale, ndlr). Ça s’était bien plus scandaleux que ce qui se passe avec aujourd’hui, avec des modalités de sélection écrites sur lesquelles on ne déroge pas. Mais ça m’a rendu guerrier ».
On peut voir le verre à moitié vide, mais aussi à moitié plein : s’il y a polémique, c’est aussi parce que le niveau chez les juniors est sacrément relevé. Et dans tous les cas, ce sont les résultats le 14 décembre prochain à Samokov qui diront si Philippe Dupont et la DTN avaient raison, ou non.
La sélection complète :
SENIORS FEMME :
Christine Bardelle ; Sophie Duarte ; Aurore Guérin ; Patricia Laubertie ; Alexandra Louison ; Laurane Picoche.
SENIORS HOMME :
Timothée Bommier ; Florian Carvalho ; Hassan Chahdi ; Riad Guerfi ; Yassine Mandour ; Abdellatif Metfah.
ESPOIRS FEMME :
Anaïs Bourgeix ; Cécile Chevillard.
ESPOIRS HOMME :
François Barrer ; Sofiane Boulekouane ; Félix Bour ; Théodore Klein ; Youssef Mekdafou ; Alexandre Saddedine.
JUNIORS FEMME :
Cassandre Beaugrand ; Célia Brémond ; Cécile Lejeune ; Charlotte Mouchet ; Lucie Picard ; Mathilde Sagnès.
JUNIORS HOMME :
Mehdi Belhadj ; Maxime Hueber Moosbrugger ; Alexis Miellet ; Fabien Palcau ; Anthony Pontier ; Emmanuel Roudolff-Levisse.