Bernard Amsalem dresse le bilan de l'année et les futurs objectifs de l'athlétisme français
Après de probants championnats du Monde à Moscou où les Bleus sont revenus auréolés de quatre médailles (l’or pour Teddy Tamgho, l’argent pour Renaud Lavillenie et Mélina Robert-Michon, le bronze pour Mahiedine Mekhissi), le président de la FFA, Bernard Amsalem, évoque la santé de l’athlétisme tricolore dans cette première partie d’un long entretien.
Quel bilan tirez-vous de l’année 2013, qui ouvre l’Olympiade vers les JO de Rio en 2016?
«Le bilan est très satisfaisant avec de beaux championnats du Monde, 4 médailles et beaucoup de finalistes (14). Et surtout, de jeunes talents se sont révélés aux yeux du grand public comme (Pierre-Ambroise) Bosse, (Kevin) Mayer ou (Pascal) Martinot Lagarde. Il y a une génération de quelques athlètes qui ont entre 20 et 22 ans, et qui sont déjà pratiquement au top niveau mondial. On espère que dans les années qui viennent, ces athlètes puissent aller plus loin que la finale et aller chercher des podiums, notamment à Rio. C’est un championnat du Monde qui a été satisfaisant sur le plan des résultats mais surtout porteur d’espoir.»
A quoi attribuez-vous cette nouvelle dynamique en équipe de France?
«Nous considérons que c’est le résultat d’un travail de longue haleine. Ce sont des choses qui ont commencé il y a 7, 8 ans, notamment avec la création de la LNA (Ligue Nationale d’Athlétisme), qui a permis la professionnalisation du très haut niveau. La création d’un circuit professionnel de meetings permet aux athlètes de se confronter aux meilleurs du Monde. C’est aussi le travail du DTN dans la manière dont il a rénové la relation avec les athlètes et les entraîneurs. Il y a un nouveau climat, un climat de confiance, à la fois proche des gens, des athlètes, des entraîneurs mais aussi exigeant avec ces acteurs là.
C’est la patte du DTN Ghani Yalouz, qui a organisé son équipe avec des managers de spécialité où des référents par famille de spécialité sont chargés, discipline par discipline, d’animer le réseau d’entraîneurs de clubs, d’entraîneurs de pôles. Cela crée une dynamique qui favorise la performance. L’athlète d’avant –je caricature volontairement- était un athlète isolé. Aujourd’hui, le nouveau DTN a cassé tout ça. Cela crée une émulation générale au sein de l’équipe de France. Tout ça a mis du temps à se mettre en place et commence à être productif. L’effet déclencheur a été l’esprit à Barcelone en 2010, avec 18 médailles, ce qui est un record historique.»
Les jeunes brillent également, notamment l’été dernier aux Europe juniors (9 médailles)et espoirs (10 médailles).
«Il y a plusieurs générations. Ça a commencé avant. Les Mondiaux cadets à Lille ont été un excellent cru, tout comme les Mondiaux juniors à Barcelone. Cette année, ça été un très bon niveau, sauf chez les cadets, qui ont été un peu en retrait. Même ce n’est pas grave car aux FOJE, on a réussi le meilleur résultat de l’histoire. Il y a une émulation générale qui part des plus jeunes. On a également beaucoup travaillé sur la détection. Avant, on disait: “on commence à détecter en cadets“. Aujourd’hui, c’est 14 ans. On commence à cibler ceux qui ont des qualités lors des pointes d’or, qui réunissent les 1 000 meilleurs jeunes entre benjamins et minimes. On fait la détection de manière plus précoce et on cible davantage.»
Et pour la première fois, la Fédération a passé la barre des 250000 licenciés.
«Tout cela provoque un attrait pour l’athlétisme, avec des meilleurs taux d’audience pour la télévision. C’est la huitième année d’augmentation sensible, entre 5 et 9%. Ce qui est assez rare dans le sport. On bat notre record à chaque saison. Souvent, les prescripteurs sont les parents: ils regardent la télé, et ils ont été attirés par la bonne image de l’athlétisme. On a opéré une diversification sur l’athlé santé loisir il y a sept ans. On s’adresse à des gens qui veulent reprendre une activité physique, des gens qui ont une pathologie (diabète, cancer etc…). En formant des coaches athlé santé, on peut accueillir de manière très pro ces gens là, qui font venir leurs enfants ou leurs petits-enfants. On alimente la vie du club par des bénévoles et par des jeunes dans les écoles d’athlé. On a fait d’une pierre deux coups.»
«Le haut niveau, ce n’est pas le challenge du nombre»
Néanmoins, les licences athlé santé ont progressé de 71% ces deux dernières années, les licences d’athlé compétition de 11%seulement…
«On vit dans une société où les gens a priori ne veulent pas faire de compétition. On subit un peu cette tendance, notamment chez les jeunes. On le démontre avec les résultats: aujourd’hui, on travaille mieux sur l’optimisation de la performance. Qui dit optimisation de la performance dit travailler sur moins de monde, ceux qui ont vraiment des qualités intrinsèques pour entrer dans une finale de grand championnat. On réduit de ce fait la quantité de personnes qui peuvent accéder au plus haut niveau mais on a de meilleurs résultats derrière.
Il faut choisir. Le haut niveau, ce n’est pas le challenge du nombre. Le haut niveau, c’est l’optimisation de la performance, et c’est donc la qualité individuelle de chacun. Je préfère cette stratégie là plutôt qu’une stratégie de challenge du nombre avec les meilleurs 50e ou 100e du monde: cela n’a aucun intérêt si on n’est pas en finale ou sur un podium. Aujourd’hui, l’objectif de la compétition est d’aller chercher des places de finalistes et des médailles. Les listes de haut niveau ont été réduites par l’Etat. Là aussi, c’est une donnée générale et on a rehaussé les minima. Et cette stratégie que l’on a mise en place depuis que Ghani Yalouz est arrivéa produit des résultats. Il ne faut pas se désespérer du nombre d’athlètes de haut niveau en moins, car en contrepartie, on a de meilleurs résultats. On optimise la performance.»
On constate d’après les chiffres que le nombre de licenciés en volume s’écroule des éveils d’athlé aux espoirs. Comment fidéliser durablement les poussins, benjamins, minimes?
« On est ans l’optimisation, aussi en juniors-espoirs. Il faut faire avec une contrainte forte dans tous les sports, qui sont les études. Ce qu’on fait, c’est que l’on passe des conventions avec des universités, des écoles pour aménager les temps scolaires. On le fait autant que faire se peut. C’est un sacrifice pour un athlète de haut niveau de faire les deux. On n’a pas le système américain où on peut faire sans problèmes les deux. Faire du sport dans une université américaine est plutôt valorisant pour l’individu dans ses études. Nous, on n’a pas cette culture.»
L’objectif de 400 000 licenciés pour 2016 n’est-il pas trop présomptueux ?
«Oui, c’est très ambitieux. Mais nous sommes en train de préparer notre positionnement sur les rythmes scolaires pour la rentrée prochaine. On est en train de regarder avec le ministère de l’éducation comment on peut dynamiser le sport à l’école (maternelle et primaire, pas au-delà) à travers le Kids Athlé, qui est tout à fait adapté aux petits.Nous sommes également en train de travailler avec les collectivités territoriales pour dynamiser le développement de l’athlé loisir, la marche nordique etc…On a toute une stratégie de développement territorial là-dessus. Tout cela –plus le haut niveau qui reste notre vitrine- devrait contribuer à nous faire approcher des 400000. Quand on se donne un objectif, il faut qu’il soit ambitieux. Même si on ne l’atteint pas, ce n’est pas grave, mais au moins, on sera à 300, 350 000, ce qui sera formidable quand on regarde dans le passé. Quand je suis arrivé à la Fédé en 2001-2002, il y avait 160 000 licenciés.»
Il faut néanmoins que l’encadrement suive, notamment chez les éveils d’athlé, poussins etc…?
«On a un programme de formation ambitieux. On a négocié avec le ministère la mise en place de CQP (Certificat de Qualification Professionnelle), ce qui permettra aux entraineurs, aux animateurs de pouvoir intervenir contre rémunération. Avec un brevet fédéral, on ne peut pas être rémunéré, c’est interdit par la loi. En revanche, c’est possible avec un CQP. On mettra en place début 2014 un programme de formation très important, qui est très attendu par les clubs. On a aussi diversifié les formations. On forme des entraîneurs pour les moins de 12 ans, ensuite pour accueillir les 12-16 ans. On a ciblé en fonction des catégories, ce que l’on ne faisait pas avant. Là, on a une très forte demande sur les moins de 16 ans.On doit former 400 à 500 jeunes entraîneurs ou animateurs par an.»
«L’objectif à Zurich sera de battre le record de médailles de Barcelone»
Quels sont les principaux objectifs pour 2014?
«Le principal objectif, ce sont les championnats d’Europe à Zurich. Les athlètes français sont très motivés. A mon avis, nous aurons une très grosse équipe à Zurich, même si on reste sur des minima durcis, avec les mêmes que l’on a mis en place à Barcelone et à Helsinki. Ce sera sans doute l’une des plus grosses équipes que l’on a jamais eue. L’objectif sera de battre le record de médailles de Barcelone.D’autre part, le Décanation est devenu un rendez-vous incontournable, eta pris sa place dans le calendrier. L’objectif est d’offrir une espèce de tournée d’après grand championnat avec un plateau de qualité. On a une très forte demande. Actuellement, on a six candidatures pour l’accueillir, alors qu’avant, on en cherchait. Après, il y a les championnats du Monde juniors. On espère une continuité après les Mondiaux cadets de Lille, à l’image de (Wilhem) Belocian.»
La deuxième partie de l’entretien est ici.
Photo : Gilles Bertrand