Transe Gaule 2014 : Stéphane Pélissier raconte sa victoire, ses doutes et son prochain défi
Stéphane Pélissier a pour la première fois inscrit son nom au palmarès de la Transe Gaule, qui s’est déroulé du 12 au 30 août dernier (1 192 km en 19 étapes). Davantage que la manière dont s’est déroulée la course, il raconte « cette philosophie de vie » que tend à représenter ce que l’on pourrait nommer « l’ultra de l’ultra ».
Comment se sont déroulées ces 19 étapes?
Ça s’est beaucoup mieux passé qu’en 2007, où j’avais fini 4e. J’avais été blessé au niveau des releveurs comme beaucoup de coureurs sur ce genre d’épreuves. Là, j’ai eu la chance de ne pas être blessé. L’autre différence par rapport aux autres courses, comme la Trans Europe en 2009 (10e) et 2012, où j’avais bâché à mi-parcours, c’est que j’avais quasiment toujours le moral au beau fixe. Cela m’a même étonné. Et je mangeais comme quatre, ce qui est très important.
Vous aviez effectué une préparation différente?
Franchement non. J’ai fait un peu plus de vitesse et de qualité mais au niveau des entraînements, ça a toujours été six fois par semaine, entre 140 et 200 km par semaine. Je prends un ou deux jours de repos quand je sens que je suis fatigué. En 2012, j’avais pas mal travaillé en sophrologie. J’ai bossé avec les notions que l’on m’avait inculquées.
A quel niveau cela vous a-t-il permis de progresser?
Au niveau de la relaxation: se poser –pas spécialement dormir- après une étape, se caler pendant deux-trois heures, faire le vide. Quand tu arrives, c’est toujours le même programme: tu vas à la douche, tu fais ta lessive, tu étends le linge en espérant qu’il fasse beau pour que ça sa sèche, tu manges un bout et ensuite récup. Je fais beaucoup d’électrostimulation.
Vous êtes tous logés au même endroit?
Oui, à part quelques coureurs qui sont suivis et qui sont en camping-cars. On est tous logés à la même enseigne: le tapis de sol, le duvet, les gymnases, la salle des fêtes on a même dormi une fois dans un foirail. Se retrouver le soir, c’est ce que j’aime.
«Je voulais me réconcilier avec mon corps»
Vous aviez un objectif particulier au départ de Roscoff (Finistère) ?
L’objectif de terminer. Je voulais me réconcilier avec mon corps, car j’ai eu pas mal de soucis physiques après 2012. Ça a été très dur de revenir. Je reprenais peut-être un peu trop vite, je me «re-pétais», c’était un peu catastrophique. J’ai pris le départ au dernier moment. Je ne fais pas beaucoup de courses, donc j’essaie de me donner à fond. Je voulais montrer que j’avais mûri après ces échecs, que j’avais pris beaucoup de sagesse.Vous avez donc dû savourer cette victoire…Je suis très content car je me suis prouvé que j’étais capable de le faire. Je n’ai pas encore tout à fait réalisé. Je ne sais pas pourquoi. Il y a eu de l’émotion, mais ça n’a pas été si fort que ça à l’arrivée. Peut-être car je n’en ai pas bavé autant que sur les autres épreuves.
L’abandon de Jean-Jacques Moros, alors en tête (trois fois vainqueur en 2004, 2012 et 2013) était-il une surprise?
J’étais triste pour lui car on a partagé le début de course ensemble. Il est arrivé d’avoir un couchage à côté et de discuter. Il m’avait déjà annoncé qu’il arrêtait l’ultra après la Transe Gaule. Je le connais: quand il a commencé à avoir des douleurs au pied, je savais qu’il n’irait pas se fracasser pour terminer, ce qui est très sage. Et puis il n’a rien à prouver, il a un palmarès qui est tellement énorme. Il m’a ouvert les portes de la victoire: faut pas se leurrer.
Qu’est ce qui n’allait pas lorsque vous aviez par exemple abandonné à la Trans Europe, en 2012 (4500 km en 64 jours à travers le continent) ?
J’ai fait un mois de course en tête. J’avais quasiment gagné toutes les étapes. Je tournais vraiment très bien. Et je me suis fait une double fracture de fatigue au sacrum. On m’a tellement rabâché que j’étais parti trop vite et que je ne savais pas géré mon avance. Je me suis aperçu que ce n’est pas donné à tout le monde de gérer une première place. J’avais 7 heures d’avance sur le second, mais je n’arrivais pas à gérer: j’en voulais toujours plus et tous les jours, je reprenais le départ pour gagner du temps. Là, sur cette Transe Gaule, quand j’ai eu 2-3 heures d’avance, je me suis calé sur celui qui était derrière moi au classement général, et j’ai fait ma course par rapport à ça, sans faire spécialement de super étapes. J’en ai gagnés sur 6 sur 19. En revanche, dès que j’ai une petite douleur dans la zone du sacrum, ça me fait de suite très peur, surtout dès qu’on a attaqué le dénivelé dans le Massif Central, où ça descendait beaucoup. Mais c’est peut-être dans la tête.
Quelles vont être vos prochains objectifs?
C’est le Tour de France 2015 (la première édition aura lieu du 28 juin au 9 août 2015 2675 km en 43 étapes, départ à Paris et retour à Paris en passant par les plus grandes villes françaises). Ce qu’il faut intensifier, c’est la préparation mentale. Selon moi, cela constitue la moitié de la préparation pour ce genre d’épreuves.
«Ce que j’aime, c’est partir, ne pas savoir le circuit que je vais faire»
Quels sont vos conditions d’entraînements?
J’ai toujours fait tout, tout seul. J’ai des fois des potes qui me demandent de venir. Quand tu cours avec quelqu’un, c’est un moment de partage, de rencontre. Mais ce n’est pas trop mon truc. Ce que j’aime, c’est partir, ne pas savoir le circuit que je vais faire.Ça fait deux ans que j’habite au pied de la montagne noire (Tarn). C’est excellent. Je me régale à partir tout seul, faire ma route (sourire). A la base, j’avais mon salon de coiffure. J’ai tout laissé tomber pour pouvoir me consacrer et à ma famille et à ma passion. Je suis chauffeur livreur depuis 10 ans dans une entreprise qui me dégage quasiment tous les après-midi.
Qu’est ce qui vous a motivé à faire de l’ultra, puis ce que l’on pourrait appeler«l’ultra de l’ultra» ?
Pour moi, c’est une philosophie de vie. Chaque fois que je rentre d’une course comme ça, mes enfants, qui ont plus de 20 ans, trouvent que ça me change. Je suis posé, je prends de la hauteur pour tout analyser, tu relativises pas mal de choses, tu n’accordes plus d’importance à tout ce qui est matériel. Ce sont des trucs assez perso aussi.
Vous avez toujours été dans cet état d’esprit?
Je pense que je suis comme ça, et que c’est l’ultra qui me l’a fait découvrir. Mon père m’avait proposé de galoper avec lui un dimanche quand j’avais 12 ou 13 ans. Depuis, je n’ai jamais arrêté. Mes parents avaient vu que j’aimais bien la distance. Ils m’avaient inscrit sur une course d’une heure sur un hippodrome, pour ma première compétition. Je m’étais éclaté. J’ai gouté au marathon mais j’ai fait une overdose: j’en faisais un par mois, c’était trop. Il y a aussitrop de monde au départ.Et passer au ravito, jeter la bouteille etc…Moi non, j’aime bien me poser, glisser un petit mot aux bénévoles qui sont là pour nous. Qu’est ce que tu perds comme temps de dire merci, bonjour, au revoir?
«Là, tu arrives au boulot, tu te dis: “mais ça ne m’intéresse pas du tout !“»
Comment est l’ambiance sur ce genre d’épreuves, dans la course et le soir?
Sur un tiers des étapes, on était cinq à partir une demi-heure après les autres. Quand tu remontes le groupe qui part à 6h30, ça te permet de voir ce que tu ne vois jamais. Je mets un point d’honneur à parler à tout le monde, à encourager. Je cours toujours avec le sourire, même quand ça ne va pas. L’ambiance est géniale, quand on se retrouve le soir. On est là pour attendre les derniers. Après, l’ultra est un sport à part mais c’est aussi le reflet de la société: tu ne peux pas avoir des affinités avec tout le monde. Mais dans la majorité, il y a une bonne ambiance et on partage des valeurs communes qui sont sympas.
Il y avait des gens sur le parcours, au départ et l’arrivée pour vous suivre?
Non, il n’y pas grand monde. Des fois, il n’y a personne. Les gens arrivent et ne savent pas ce que c’est quand ils voient l’arche d’arrivée. Ils posent des questions, voient la carte avec le tracé et se rendent compte. Rien qu’aux encouragements, on sent qu’ils n’en reviennent pas. Je ne parle pas que de Jean-Benoît (Jaouen, l’organisateur) mais tous ces types de courses sont rattrapés par le progrès: ça été de la folie avec les réseaux sociaux, autant sur Youtube que sur Facebook…
Ça fait bizarre de revenir à la réalité après une telle épreuve ?
Oui. La bêtise que j’ai faite, c’est de reprendre tout de suite le boulot. Je ne l’avais jamais fait, je m’étais toujours accordé du temps. Là, tu arrives au boulot, tu te dis: “mais ça ne m’intéresse pas du tout !“ (rires). Ce qui fait du bien, c’était d’avoir retrouver ma femme et mes enfants. C’est ce qui me fait le plus défaut pendant la course.