David Grard, profession entraîneur de club
Rencontre avec David Grard, 42 ans, et entraîneur depuis plus de vingt ans au Spn Vernon (Eure).
Enchaîner les tours de piste, chrono au poignet, un œil sur la montre, David Grard s’est rapidement dédoublé : le deuxième œil plongé dans les cahiers d’entraînement, le chrono dans la seconde main, les chaussures légères troquées pour des running lambda et le souffle (un peu) moins court pour encourager ses ouailles.
A seulement 21 ans, en 1994, le jeune demi-fondeur s’est mué en entraîneur, conjuguant dans un premier temps les deux (1). « Il y avait à la fois des besoins d’encadrement dans mon club, et la passion, l’envie d’aller un peu au-delà de sa propre pratique, de voir un peu l’envers du décor, de maîtriser un peu tous les paramètres » explique t-il en ce dimanche 12 juillet grisâtre, à l’extrémité de la tribune principale du stadium Villeneuve d’Ascq, où les France Elite battent leur plein.
Il s’occupe dans un premier temps des jeunes –« le fait de les entraîner au début permet d’avoir une formation pluridisciplinaire »– avant de coacher à partir de 1999 des plus grands. Depuis 2006 (faisant suite à cinq ans en emploi jeunes), il est coordinateur sportif du Spn Vernon. Parmi ses missions, entraîner.
Un groupe hétéroclite
« Je suis un coach de club par définition : j’entraîne tous les athlètes de mon club qui en ont besoin, sans distinction de niveau » souligne David Grard, un 3e œil rivé sur la prestation de Mamoudou-Elimane Hanne –sociétaire du Spn Vernon- en lice sur le 400 m haies.
Aujourd’hui, son groupe (« je ne pourrais pas dire avec précision combien d’athlètes j’entraîne » précise t-il) est de fait très hétéroclite (sprint, haies, demi-fond et sauts). « J’ai la chance d’entraîner des gens qui gagnent des titres nationaux et qui ont des sélections, et j’entraîne aussi des garçons qui font plus de 40’ au 10 bornes. C’est un truc auquel je tiens. De toute façon, en tant que salarié, je ne peux pas avoir une autre philosophie. Mais je ne recherche pas à créer un groupe avec des athlètes venant d’autres clubs pour avoir que des bons. Ce n’est vraiment pas mon truc ».
A son image, ces entraîneurs de club, bénévoles ou non, forment l’un des maillons indispensables de l’athlétisme hexagonal. Une fonction qui requiert une adaptation de tous les instants, entre des athlètes qui n’ont pas les mêmes conditions pour s’entraîner, qui conjuguent leur pratique avec une fatigue inhérente au boulot ou aux études, par exemple. « Je m’applique à les accompagner le mieux possible dans leur projet » indique t-il dans le brouhaha ambiant, le speaker s’égosillant sur l’arrivée du 400 m masculin.
Une fonction qui requiert aussi une patience acharnée pour contrecarrer les déceptions et rebondir.
« On peut vivre de bons moments sur une compète de jeunes, avec un môme qui sort une perf ou comprend un truc »
Et lorsque l’investissement est récompensé, par un titre national ou une sélection, « oui, ce sont des moments grisants. Mais on peut vivre de bons moments sur une compète de jeunes, avec un môme qui sort une super perf ou qui comprend un truc. Je pense qu’il y a un certain nombre d’émotions qu’on ne peut vivre que dans le sport. On a cette chance là de vivre des trucs intenses, de partage, dont on ne peut pas trouver l’équivalent facilement ailleurs ».
Sous sa férule, Valentine Huzé, Lauren Funten ont notamment connu des sélections internationales, de même que Tristan Druet avec l’Irlande. Et des vétérans, mais « ça ne compte pas. Enfin ça compte pour eux » reprend en se marrant David Grard (2).
« La richesse du truc, c’est que les internationaux que j’ai eus n’ont connu qu’un club, et quasiment qu’un entraîneur. Au niveau de la construction, c’est quelque chose d’assez gratifiant. Ce n’est pas la même chose que de prendre quelqu’un et d’avoir des résultats un an après. Même si ce n’est pas facile –et c’est même peut-être plus dur car prendre quelqu’un qui a déjà un vécu et faire continuer la progression, ça ne marche pas toujours- ».
« On s’enrichit et on progresse souvent avec les athlètes »
Cette passion de coacher est donc son métier (« faire les deux en même temps est une chance » relève t-il), et se révèle dévoreuse d’énergie. « Entre toutes les catégories et les spécificités de l’athlé (cross, piste, hors stade, les jeunes à l’instar des benjamins qu’il suit également), je pense que je n’ai pas plus de 7-8 dimanches par an. Les fins de saison sont parfois un peu longues. Quand il y a de l’enjeu, ça aide quand même à rester éveillé » souligne David Grard, présent le dimanche à Lille et qui avait fait l’aller-retour le vendredi à l’occasion du 5 000 m féminin.
Eveillé, il faut l’être pour se coltiner les (longs) déplacements au volant. « Je n’ai plus que deux points sur mon permis » glisse David Grard à ce propos. Il n’est pas le seul coach, dirigeant ou bénévole dans l’Hexagone dans cette situation, et lancer une pétition pour inscrire la perte de points dans les défraiements ne serait pas inopportun…
Energivore mais (« et » plutôt) captivant, pour celui qui n’a pas poursuivi ses études après sa licence de lettres et trouve une forme de transmission par le truchement de l’encadrement sportif.
« C’est un sport individuel et chaque situation s’appuie sur des constantes, mais est aussi unique. On s’enrichit et on progresse souvent avec les athlètes » glisse David Grard. « J’aime le côté science humaine, ça doit être mon côté littéraire ; poser les choses, réfléchir, prendre du recul. Je fais beaucoup de psychologie, je suis beaucoup dans le verbal, peut-être que c’est ce qui fait que je ne réussis pas trop mal avec les filles, qui sont très en demande par rapport à cet aspect ».
(1) Ses records : 3’53’’ au 1 500, 8’34’’ au 3 000, 31’57’’ sur 10 bornes, 1h10’ au semi, et un seul marathon en 2h35’.
«Ma pratique s’est à un moment dilué, quand j’ai commencé à entraîner des gens qui étaient meilleurs que soi. A l’entrainement, quelque soit le niveau, il faut être assez centré sur soi-même. A partir du moment où on commence à penser plus à ce que font les autres, pendant une compète par exemple, ça devient assez compliqué de faire des perfs » souffle David Grard, qui aujourd’hui s’entretient.
« Il faudrait que je m’entraîne en décalé, et c’est un peu plus de contraintes, de temps consacré à l’athlé et peut-être que je commence à atteindre une certaine limite par rapport à mon entourage familial ».
(2) Pour les Mondiaux vétérans, chaque athlète peut y participer, sans conditions de minima. L’édition 2015 a lieu à Lyon du 4 au 16 août.
Photo : Jean-Marc Mouchet.